Il est des objets qui n’existent pas indépendamment du geste qui les porte à notre souvenir. La montre de papa est de ceux-là car je ne peux la sortir du tiroir où elle dort aujourd’hui sans ressusciter à ma mémoire l’antique cérémonial qui entourait sa consultation.

D’abord il lui fallait l’extraire du petit gousset de cuir brun qui la protégeait du monde extérieur et cela se faisait avec grande précaution, sans la brusquer mais en manœuvrant avec douceur la pression qui fermait l’objet, comme une caresse pour réveiller une belle endormie. Au sortir du petit sac elle se lovait dans sa main et tous deux se reconnaissaient comme intimes. Elle avait pour lui l’information précieuse du temps, celui qui vient de s’écouler, celui qui reste à habiter. Elle la lui distillait avec rigueur et précision en échange d’une attention fidèle de sa part à lui donner chaque jour sa dose d’énergie nécessaire. J’adorais ce moment où avec respect il remontait le mécanisme en tournant délicatement le bouton rainuré. Avec l’habitude cette opération ne prenait bien sûr que quelques secondes, mais l’intensité du geste a imprimé en mon esprit son pesant d’éternité. Après lecture attentive du cadran la montre réintégrait son refuge douillet puis la poche du pantalon, alors papa prenait ma main en disant « allons-y, il est l’heure ! »

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