Trimballée de plis en poches, de jeux en boîtes, de sols en tables, tant de petites mains m’ont un jour frôlé sans jamais me remarquer…

J’ai été jeté à terre, écrasée, piétinée, malmenée, mais j’ai toujours su résister. Un jour, je saurais exister autrement, je saurais me révéler, je saurais souligner la beauté d’un être, je saurais être aimé. 

Je me sais petite, plus petite que les autres d’ailleurs. Je suis un peu joufflue, j’ai même des rondeurs imparfaites. Si je dois me comparer à mes pairs, c’est vrai que je ne suis guère attrayante. J’ai pali avec les années, j’ai même jauni, et je suis terne. Elles sont ornées de milles couleurs, elles sont belles et brillantes. Moi, j’ai des ridules disgracieuses, des boursouflures, des écailles, je passe toujours inaperçue. Mise à l’écart, je suis toujours au fond. Celle que l’on effleure mais qu’on ne prend jamais, celle que l’on s’amuse à triturer sans jamais lui donner vie, celle qui vit dans l’ombre sans jamais voir la lumière.

Je ne reprends mon souffle que je touche le sol. Une grande aventure s’ouvre à moi, mon destin peut enfin changer. Il fait parfois ce geste, ce mouvement inattendu qui met du piment dans ma vie, me donne espoir et me permet de croire qu’enfin on me remarquera. Un jour, je me souviens, il a tout renversé. Sa maladresse incontrôlée m’a offert de nouvelles perspectives. Même si ce vacarme s’est accompagné d’un hurlement de stupeur, nous étions libres. Répandues absolument partout, nous étions des centaines, nous n’avions jamais été si nombreuses. C’est la première fois que je voyais autant d’espace autour de moi, autant de liberté, autant de possibles à portées de main. Mais j’avais peur. Cette aventure est dangereuse.

Même si d’ordinaire on ne me voit pas, je suis là, quelque part, à ma place.

Si jonchée sur ce sol on venait à m’oublier, je ne serais plus.

L’idée même d’un jour pouvoir prendre de l’éclat, s’envolerait. Je serais en prise à tous les dangers du monde. J’ai déjà frôlé le pire, mais on m’a toujours sauvé. Cette fois, j’ai peur. Vraiment peur que tout soit différent.

Il serait facile de passer entre les mailles du filet. Nombreuses de mes amies ont disparues. Elles avaient fait le grand saut, certaines n’attendaient que ça, mais elles ne sont jamais revenues. J’ai souvent entendu de gros bruits sourds s’approcher de moi emportant tout sur son passage. Je sais qu’en un coup de vent, on disparait dans l’antre des particules indésirables. Mais il y a un risque bien plus grand qui me terrifie. Je l’ai déjà vu faire. C’était enfin mon heure de gloire, il envisageait enfin me toucher pour me choisir mais il a été interrompu par un énorme filet gluant d’une odeur peu ragoutante qui est venu se coller sur son visage. Très surprise, au lieu de le repousser, il l’a au contraire embrassé et s’est mis à rire et jouer avec cette énorme amas poilu, et, il m’a oublié. C’était l’heure du repas, il a dû d’un coup de main faire place nette. Telle est depuis des années le sort qui m’est dédié. 

Jusqu’à aujourd’hui. 

Ce que j’attendais depuis toujours est enfin arrivé.

Il m’a choisit.

Il a même scrupuleusement pris le temps de me choisir. Il m’a mis de côté. C’était bien la première fois que j’étais isolée. Je ne savais pas vraiment ce qu’il ferait de moi, mais j’espérais qu’enfin je puisse me déployer. Il a enfilé, enfilé, enfilé, des tas de toutes petites perles dont je ne connaissais même pas l’existence. Elles étaient entreposées dans un petit écrin, comme des trésors, elles brillaient. Leur nacre se reflétait dans ses yeux. Je voyais bien qu’il était concentré. Quelque chose de particulier se préparait. Et moi, j’étais aux premières loges, j’attendais de contempler, d’admirer le chef d’oeuvre dont j’espérais faire parti. Mes émotions ont été mises à rudes épreuves.

Cette procédure a durée très longtemps. Il était méticuleux, il prenait soin de toutes. Il les passait à la chiffonnette avant de les enfiler jusqu’à leur place final. Il ne faisait pas comme d’habitude. Il ne les laissait pas glisser jusqu’à entendre le dernier petit clapotis signe du rebondissement ultime contre leurs voisines. Non, cette fois, il accompagnait leur chemin, et son sourire ne le quittait pas.

Puis, délicatement il approcha sa main de moi. C’était la première fois qu’il me regardait de la sorte. Ses yeux brillaient. Il me prit avec soin, délicatesse, il me rapprocha de sa bouche. Etonnant, il m’embrassa. Mon premier baiser. Je n’en compris pas le sens mais il m’éclaira. Il me murmure alors de tendres pensées. Il me demande d’apporter de la chaleur et de la protection à celle qu’il aime.

Je savais que je pourrais relever cette mission. Il donna enfin un sens à ma vie, il révéla enfin mon pouvoir endormi.

Il me fit valser entre de douces attentions. Mon pâle jaune a redonné place à mon blanc initial. il me fit passer entre ses doigts huileux, et je repris toute ma lueur. Il finit par me déposer auprès de mes voisines. Ma destinée prenait vit aujourd’hui, ma vraie place m’était donnée. 

J’étais désormais sa perle.

J’étais son oeuvre.

J’étais son précieux bijoux qui accompagnerait désormais l’amour de sa vie. 

J’étais la force qui saurait raviver les énergies quand elles auraient perdues leur flamme.

Il finit d’orner ce beau collier d’une dizaine d’autres petites perles. Toutes aussi belles, toutes aussi nacrées et brillantes. Nous étions belles, si belles. Ensemble nous formions un tout invincible, notre force se décuplait au fil de la confection, notre énergie s’alignait prête à répondre à notre mission. Son sourire était étincelant. Je sentais que nous serions au centre d’un bel évènement mais je ne me doutais pas qu’enfin je saurais.

La sonnette de la maison retentit. Vite, son bras embarque toutes mes anciennes acolytes, nous sommes désormais les seules témoins de cette après-midi créative. La porte s’ouvre. Il nous empoigne, se rue au sol, à ses pieds et ses larmes se sont mises à couler. 

Il nous déploie au creux de sa main, devant ses yeux écarquillés qui ne comprennent pas. 

Par de longues phrases il lui remémore leur rencontre. Ce jour où tout a commencé pour eux, pour moi, pour nous. Tout pris sens. Il raconte une tranche de vie que j’avais oublié, tant d’années étaient passées depuis. Il évoque les vagues, les tempêtes, le soleil, les bateaux et l’émerveillement qu’ils ont ressenti en me découvrant. Tout revînt à ma mémoire. Je n’avais pas passé mes années en boîtes en n’étant qu’une parmi d’autres, non. J’étais là pour être précieusement gardée en guise de symbole d’une puissante rencontre.

Nous prenons place autour de son cou. 

Ses douces mains humides de larmes m’empoignent avec une force. Notre destin est désormais lié à jamais. Je porte en moi le souvenir d’un amour éternel. 

@ingrid-r

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