Une voix le tira brutalement de ses réflexions. Celle de son premier lieutenant, Arnaud. Des hommes approchaient en contrebas du château. Des hommes en armes, avec des torches. Ces hommes portaient sur eux les armoiries du pape Innocent. Ils avaient été très certainement envoyés par le légat, Arnaud Amaury. Quoi qu’ils soient venus lui porter comme message, comme instructions, ils les connaissaient d’avance. Traquer, détruire, tuer. Il ne fallait pas que les hommes du légat puissent être témoins de cette fuite, de cette trahison sans retour possible. Il fallait que ses hommes choisissent, c’était maintenant. Le jour levé, il serait trop tard, ceux qui auraient acceptés de le suivre dans cette folie seraient tous en état d’hérésie et ils seraient déjà morts. Attrapant son épée, il suivi Arnaud et avança pour rejoindre ses hommes quelques mètres en contrebas. Le voyant descendre lentement, épée à la main, certains d’entre eux avaient déjà compris le choix qu’ils allaient devoir faire. Les hommes du légat progressaient, et entamaient l’ascension qui les mèneraient aux portes du château. Le choix le plus difficile de son existence était maintenant.
Thibault de Montfort avançait tant bien que mal sur un sentier étroit qui menait aux portes de la forteresse. D’une main il portait une torche qui non contant d’être à la limite de lui brûler le visage, limitait fortement son champ de vision. Il avançait encore plus lentement, coincé entre la roche, les feuillages, et à sa droite un précipice. Son autre main était posée sur le fourreau de son épée qui était prête à être tirée à tout moment. Derrière lui dix hommes avançaient en file indienne, avec un sur deux qui éclairait le chemin avec une torche. L’ascension était pénible, dangereuse, et lente. Il n’avait jamais vu le château de jour, et encore moins de nuit. Ils avaient cavalé à bride abattue durant deux jours et deux nuits pour arriver enfin en vue de Peyrepertuse, pour porter un message de la plus haute importance au nouveau chef de l’armée croisée, Aimeric. Alors qu’il enrageait intérieurement contre la difficulté de l’ascension, Thibault ressassait ses pensées. C’était à lui qu’aurait dû légitimement revenir ce commandement suprême. Lui, fils du grand Simon de Montfort, qui avait été chaque jour derrière le chef de guerre, qui avait appris et combattu plus que quiconque aux côtés du chef des armées croisées. Il se revoyait encore a plat ventre, étalé de tout le poids de sa côte de maille, l’acier de son casque embrassant le sol glacial de la cathédrale de Béziers quelques mois auparavant. Les yeux fermés, il avait entendu aux côtés de son père le légat du Saint – père Arnaud Amaury Les paroles du légat étaient entrées en lui, elles l’avaient transcendé, chaque mot, chaque phrase avaient envahi son esprit et son cœur. Lui qui toute sa jeunesse, avait souffert des absences de son père parti aux croisades. Enfin, enfin on lui donnait la possibilité de prouver sa valeur. Enfin il pouvait être réuni avec son père, par la grâce du Saint-Père le pape Innocent. C’était dieu lui-même qui les avaient réunis. Il leur offrait cette chance de combattre ensemble en son nom. Il avait vu la déchéance de son père, revenu de terre Sainte après l’échec de la quatrième croisade et la mise à sac de Constantinople. Relégué dans un obscur domaine au nord de Paris, Simon avait passé des années à accumuler sa frustration de ne pas combattre. Il était devenu morne, errant dans les couloirs de son petit château, il était devenu l’ombre de lui-même. Et puis, et puis la libération était arrivée enfin. Enfin on lui avait donné un but, une mission. Thibaut avait vu les yeux de son père à nouveaux envahi par cette flamme, cette vie, qui avait quasiment disparue.
C’est sous les remparts de Toulouse, que Thibault devînt orphelin. Il n’était pas là, quand cette pierre jetée du haut des remparts avait fracassée l’armure de son père à l’abdomen. Il aurait été prêt à monter à l’assaut des remparts tout seul si la confusion, puis la déroute des chevaliers croisés privés de leur chef ne l’avait pas fait quitter le champ de bataille. On lui avait dit alors que le commandement de son père si il venait à disparaître, était de nommer cet Aimeric, pour prendre la tête de l’armée. Au début, il avait refusé. Jamais il n’accepterai d’être sous les ordres du fils d’un petit seigneur occitan. Petit seigneur dont le deuxième fils était un hérétique, qui avait tourné le dos au véritable, au seul dieu. A force d’insister, il avait réussi à convaincre le légat de remettre en jeu le commandement de l’armée croisée entre les deux jeunes hommes. C’était le message d’Arnaud Amaury. Les chevaliers avaient plébiscité le fils de Simon, ils avaient loué sa bravoure au combat, sa dévotion, sa croyance. Qui d’autre que le fils d’un chef de guerre, pour prendre le contrôle du bras armé de l’Église et réprimer comme ils le méritaient les hérétiques. Cette nuit, Aimeric allait apprendre que le légat du Saint-Père remettait en question sa légitimé de commandant. La tête de l’armée croisée reviendrait à celui qui ferait tomber un autre refuge Cathare, une autre forteresse du vertige, Quéribus. Mais il n’en allait pas être ainsi. C’est Aimeric, qui avais insisté pour que Thibault reste en retrait, pour qu’il puisse escorter son père sous les remparts. Il lui avait dit et répété que les assiégés étaient sur le point de céder et de rendre la ville aux croisés. Que personne n’oserait s’en prendre au chef des croisés. Personne au monde n’était plus confiant que cet Aimeric. Personne n’était plus sûr que s’approcher des remparts était sans danger. Il avait même ordonné aux sergents d’armes qui escortaient toujours leur chef de rebrousser chemin. Et Simon avait accepté. Si Thibault avait été là, il en était convaincu, le drame aurait pu être évité. C’est lui qui se serait approché des remparts. D’une façon ou d’une autre, c’était Aimeric qui était responsable de la mort de Simon. Thibault en était convaincu. Il fallait qu’il éloigne ce traître, loin, très loin. Tandis ce qu’il approchait de plus du château, il menait une bataille de plus en plus difficile dans son esprit pour savoir s’il devait tuer Aimeric ou l’envoyer très loin.
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