Eh bien voilà, nous y sommes. J-1 avant le grand inventaire de la salle de gym… C’est ce que j’ai entendu dire en tout cas. Je me doute que cette fois-ci je n’y échapperai pas. Ne me faisant pas trop d’illusion quant au fait que je partirai demain pour la poubelle, j’ai décidé de faire un petit point sur ce qu’a été ma vie…

J’ai l’air de me lamenter ? Non je suis juste un peu nostalgique c’est tout. Je sais bien que tout à une fin, même les cordes à grimper. Et puis de toute façon, est-ce que je vais regretter ces dernières années ? Entassée au fond d’une caisse dans le débarras de la salle de gym ? Non, certainement pas ! Les seules fois où je vois la lumière c’est quand un professeur ou un élève vient chercher du matériel. Ca ne m’empêche pas de toujours avoir un petit espoir. L’espoir que quelqu’un se soit rappelé de mon existence et que l’on ait besoin de moi pour une activité, comme autrefois.

Je suis arrivée en même temps que la construction du gymnase. Je me souviens l’odeur de la peinture encore fraîche des murs et l’effervescence d’avant la rentrée scolaire. On m’a attaché au crochet et de là-haut je pouvais voir toutes les installations : les paniers de basket, la poutre de gymnastique, les filets de badminton, la caisse à ballons et les marquages au sol qui délimitent les terrains. 

Cela étant je n’étais pas l’activité favorite des élèves… Mais bon, passage obligé pour eux, ils n’avaient pas le choix que de s’attaquer à mon escalade. Si j’essaye de faire la liste de mes souvenirs les plus forts, je pense que je mettrai en premier ce sentiment de fierté que j’ai eu lorsque Quentin a réussi à grimper toute ma hauteur. Ce n’était pas gagné ! Il me faisait de la peine : moqué par ses paires à cause de son surpoids et menacé par son enseignant d’une mauvaise note, il essayait avec toute la volonté du monde de grimper quelques centimètres, sans succès. Mais après l’école, il se faufilait dans la salle avec Margaux, une petite camarade de classe dotée d’une bienveillance rare, et venait s’entraîner. Un beau jour, devant toute sa classe et son professeur ébahis, Quentin a réussi à grimper tout en haut et ce fut la plus belle leçon de persévérance à laquelle j’ai pu assister de toute ma carrière.

Ma plus grande frayeur ? Quand cet imbécile d’Edgard a enlevé le tapis de sécurité alors que la petite Suzon – je me rappellerai toujours de ses jolies couettes – tétanisée, implorait l’aide de son enseignant pour l’aider à descendre car elle ne sentait plus ses bras et allait tomber. Heureusement, ce dernier est arrivé à temps pour réceptionner son élève et envoyer la terreur chez le principal.

Mon plus grand fou rire ? Lorsqu’on m’a décrochée pour la fête de fin d’année et qu’on m’a utilisée pour jouer au “tir à la corde”. Des enfants avaient insisté pour jouer contre leurs professeurs et avaient fini par gagner car M. Balard avait glissé et fait tomber tous ses collègues ! Après un long silence, tout le monde a fini par éclater de rire, ce fut une belle kermesse.

Mon plus gros chagrin ? La rupture entre M. Guichard et Mlle. Fardy biensûr, quelle triste histoire… Ces deux enseignants entretenaient une liaison depuis plusieurs mois et j’étais aux premières loges pour assister à leurs retrouvailles secrètes quotidiennes au gymnase. Mais un jour, M. Guichard est arrivé en retard est à avoué à son amante qu’il voyait quelqu’un d’autre… Mlle Fardy fut inconsolable et il la laissa pleurer toutes les larmes de son corps. Tout d’un coup, elle a levé les yeux vers moi et j’ai pu y voir une macabre détermination. Elle marcha vers moi, rapprocha la poutre, grimpa dessus et m’enroula autour de son cou. Elle resta quelques minutes, les yeux dans le vague pendant que j’implorai que cela n’arrive pas. Fort heureusement, le concierge arriva, ayant vu la porte du gymnase ouverte à une heure à laquelle elle n’aurait pas du l’être, et accouru vers Mlle Fardy pour la consoler et la dissuader de mettre fin à ses jours. J’appris plus tard qu’elle avait quitté l’école et avait entreprit un tour du monde avec sa petite soeur.

Enfin, mon plus grand regret fut quand, pendant les vacances scolaire d’été, ils installèrent des murs d’escalade dans le fond du gymnase. Dans la même journée, je fus décroché et rangé dans une caisse rouge. J’y passa la fin des vacances et à la rentrée, une enseignante vint faire un petit tour dans le débarras pour préparer sa caisse de jeu de récréation. Elle prit deux cerceaux, un ballon de foot et un ballon de basket et, pour mon plus grand bonheur, m’installa dans sa caisse. J’eus encore quelques belles années pendant lesquelles les enfants s’amusaient avec moi, jusqu’au jour où des cordes à sauter me remplacèrent. Plus jolies de par leur couleur et plus légères de par leur matière, plus pratique avec leurs poignées, je fus de nouveau relégué au débarras de la salle de gymnastique. Aujourd’hui je ne sers plus à personne, sauf peut-être à quelques araignées qui trouvent confortables de tisser leur toile en prenant appui sur moi. 

Eh bien voilà, nous y sommes, je vous ai raconté la vie que j’ai mené. Je ne crois pas particulièrement à la réincarnation, mais qui sait, avec toutes ces choses dont j’ai entendu parler comme le recyclage, peut-être qu’une deuxième vie m’attend ? Et puis je ne suis pas à plaindre, j’ai eu une belle vie : honnêtement, auriez vous soupçonné qu’une corde aurait pu vivre autant de choses ?

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