Depuis la nuit des temps la tribu Betyke, qui vit dans les forêts lointaines de Guyane, vénère  le tapir. C’est un animal étonnant qui chasse les mauvais rêves et porte chance à tous ceux, qui par hasard, le croisent la nuit à la recherche de sa nourriture végétale. Les huttes des membres de la tribu sont décorées de tapirs sculptés et les tenues de fête sont toutes ornées de l’animal emblématique. Tous les ans, de grandes festivités sont  organisées en l’honneur du tapir. Les femmes de la tribu préparent leurs mets préférés et les déposent au cœur de la forêt. Les jeunes filles et les jeunes hommes chantent, dansent et invoquent l’esprit des tapirs afin de les protéger.

     A plusieurs milles de là vit le ministre général. Cet homme orgueilleux et naïf profite de sa charge de ministre pour se délecter de ses plats préférés. Lui aussi vénère le tapir mais en ragoût ou en blanquette. Il en mange tant et tant, qu’un jour, le cuisinier et sa brigade ne réussissent plus à se procurer de la viande de tapir. Les réserves sont épuisées et les chasseurs qui sillonnent les forêts alentour rentrent tous bredouilles.
     Le ministre somme alors son secrétaire de résoudre le problème. Celui-ci mande plusieurs informateurs qui, très vite, découvrent la tribu Betyke et leurs réserves de tapirs sacrés.
     On organise pour le ministre une expédition dans cette contrée reculée. La délégation arrive devant le village la veille de la fête du tapir. Le ministre voudrait réquisitionner toutes les bêtes disponibles avant de retourner, illico presto, à son ministère. Mais le chef du village s’adresse à lui en ces termes:
– « nous accèderons à vos désirs mais à une seule condition : il vous faut  passer trois jours et trois nuits dans notre village avant que nous vous livrions les vénérables animaux. »
     Le ministre général bougonne et s’impatiente puis il comprend que son intérêt est d’obéir aux recommandations tribales.
     Le premier jour, le ministre et sa clique observent les habitudes et traditions de leurs hôtes. Ils suivent le cheptel et un groupe d’hommes-cueilleurs dans les sylves. Les animaux indiquent les meilleures plantes, les meilleurs coins à champignons ou à noix de terre. Le soir, les invités se régalent d’un plat somptueux de champignons de tubercules et d’herbes de la forêt. Le ministre et sa compagnie, d’abord réticents, se délectent de ces mets inconnus et savoureux. Le lendemain, les Betykoù les convient à une balade à dos de tapir. Le ministre, qui ne connait que le moelleux des sièges à porteur, s’installe avec crainte sur le dos du tapir. Mais l’animal est doux, attentionné, empathique et connait parfaitement le chemin qui mène vers les plus beaux sites de la région. Le ministre se prend à caresser l’encolure de la bête. Il demande de dormir près de sa monture et déclare au petit matin avoir pour la première fois dormi d’une traite et sans cauchemar.
     Après un long conciliabule avec le chef des Betykoù, le ministre et sa cohorte de conseillers reprennent le chemin du retour sur le dos des tapirs offerts par leurs hôtes.

     Trois jours plus tard, le ministre général déclare que désormais le tapir ne peut plus être chassé, ni mangé et un nouveau décret déclare le tapir « espèce protégée ».

 

 

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