Le maître d’hôtel ouvre la porte à la cinquième girafe de la matinée. Elle passe sans un regard, la politesse n’est plus ce qu’elle était. Il gratte les poils drus sur son ventre, lisse sa chevelure noire, et répète pour la sixième fois : “s’il vous plaît”. Puis il souffle des naseaux. Un petit nuage se forme dans l’atmosphère fraîche de la rue. Après l’arrivée du pic-vert mondain, il sait que l’heure de servir le petit déjeuner est terminée. Le personnel s’affaire pour préparer la conférence de la journée. Les thèmes changent chaque week-end, et il voit arriver des populations plus différentes les unes des autres. Lorsque la première fourmi réclame en gémissant l’ouverture de la porte, il ne comprend pas tout de suite. Il ne la voit pas, manque de la piétiner, gêné par ce bruit aigu qui lui siffle dans les oreilles. Puis il baisse ses yeux noirs et distingue une toute petite fourmi sur le palier, des valises plein les bras. Son intérieur se décompose, il se confond en plates excuses et ouvre la porte, déconcerté. Puis, une fine colonne noire se dessine à la suite de l’insecte premier. Le maître-blaireau fait bon visage, se redresse et accueille l’assemblée à mille pattes. Il doit rester vigilant, car la réputation de l’établissement repose sur la qualité de son accueil. Lorsque son collègue prend la relève, il tourne dans l’hôtel pour les vérifications de dernière minute. La salle de conférence est pleine de pattes, d’antennes et de voix stridentes. Elles prennent peu de place, les centaines de petites bêtes qui écoutent une reine blanche parler de l’industrie de l’armement à base de feuilles de chênes et de plumes dans la région de la botte de foin humide de 4h du matin. Un réel travail de fourmi !
Le blaireau s’ébroue, et termine sa ronde par les couloirs de l’hôtel. C’est alors qu’il découvre dans un coin un petit homme, replié sur lui-même, embourbé dans de grands vêtements noirs, qui sanglote à chaudes larmes. Le maître-blaireau toussote discrètement. Puis tape des pattes sur la moquette, et le petit homme lève vers lui des yeux suppliants. Il porte dans ses mains une minuscule pelote de laine.
-Je ne peux pas! explique-t-il. Je ne suis pas un monstre… J’ai ce matin enduit ma pelote de miel d’acacias, et je ne vaux plus rien. Tout a coagulé! Comment voulez-vous que j’aille au bout de… Je suis un homme de bonne volonté ! Je tiens à réussir mes actes…
Il pleure de plus belle, et reprend :
-Mais… je suis passé devant la salle où j’avais prévu de lancer la pelote. Leur montrer à toutes ces guerrières qu’on peut gagner par la ruse! Elles auraient été bien gênées engluées dans le fil de laine! Mais… je suis passé devant la salle, et elles étaient si petites… je ne suis pas un monstre… Je les croyais vilaines, repoussantes. Effroyables…
-Allons, allons, ce ne peut pas être si terrible ?
Et le maître d’hôtel, déconcerté, aide le terroriste désespéré à se relever.
C’est un univers animalier enchanteur! Merci.
Très sympa un joli conte