(Je compris rapidement que j’étais devenue une promesse de jours meilleurs, un gage d’espoir et de justice, ni plus ni moins qu’ un symbole.
J’appris plus tard que l’on m’avait nommée…)
Depuis ce jour, ma vie fut longtemps prise dans un tourbillon d’émotions, toujours pendue au coup d’ Emma, c’était son nom à elle, mon idole, mon égérie, ma muse! Je traversais la vie sans trop me poser de questions, j’adhérais à toutes ses fantaisies et initiatives. Je dansais avec elle, je marchais avec elle, je l’écoutais, j’embrassais sa cause, ses emportements, ses déceptions. Je la soutenais et lui insufflais toute ma vitalité quand elle s’exprimait publiquement. J’étais, tout comme elle, traversée de multiples sentiments; joie, tristesse, impatience, indifférence, colère aussi et tant d’autres. Je pouvais parfois ressentir de la fatigue, voire de l’épuisement mais j’avais conscience de vivre des moments inouis et exceptionnels.
Dans les rues, toujours confortablement nichée au sein de ma belle maîtresse, je croisais souvent d’autres femmes, jeunes ou vieilles, ou comme on dit “dans la fleur de l’âge”. Elles provenaient de tout milieu social, certaines habillées avec recherche, d’autres vêtues plus simplement, il y avait aussi celles qui n’attachaient pas beaucoup d’importance à leur apparence ou plutôt qui souhaitaient manifester ainsi leur révolte face à l’ordre établi… Les coiffures s’allégeaient, les mèches folles s’échappaient des chignons, certaines arboraient des cheveux courts… les corps se libéraient… Histoire de défier des siècles de convenance ! De cette assemblée disparate avaient surgi la force de leur engagement, la détermination de leur lutte mais aussi était né, un sentiment d’appartenance…Appartenance au groupe…appartenance à une cause…appartenance à la cause des femmes.
Aujourd’hui on l’appelerait la sororité…Mot qui n’est pas encore tatoué sur ma peau…
Vint un temps où Emma devint plus calme, plus posée. Je pus enfin me reposer. Cette trève fut cependant de courte durée. Quelque chose de différent l’habitait, un émoi certain l’agitait, la température de son corps s’élevait au point que j’en ressentais un certain désagrément et quand je compris quelle en était la cause, je ressentis une pointe de jalousie, d’amertume aussi. La voix de celui qui provoquait ce chamboulement était grave, chaude et me berçait cependant de son timbre enveloppant. Une voix convaincante, à l’élocution claire, juste, maîtrisée qui entraînait des foules d’admirateurs.trices derrière elle. Pas étonnant qu’Emma tombe sous son charme.
Emma, tout à sa passion et dans sa hâte de retrouver l’objet de sa fougue, m’oubliait parfois et je restais supendue à ma potence tel le supplicié…Un sentiment jusqu’alors inconnu me saisissait, je me sentais abandonnée, livrée au froid et à l’absence.
La suite de cette histoire au prochain épisode…
Admiration et respect.
Admiration pour cette belle langue que vous mobilisez. Respect pour ces idées qui s’annoncent (…), même si, paradoxalement, moi qui suis un vrai féministe (sourire…), je serais tenté de remplacer dans votre texte le mot “appartenance” par “allégeance” (au sens que lui donne Alain Supiot…).
Mais je chipote, j’en conviens, tant il est évident que l’objet politique n’est au final qu’un accessoire parmi tant d’autres, ici ; me trompé-je ?
En tout cas, merci de publier si belle prose sur l’Algo !