Sous un ciel d’humeur changeante, un homme au visage sale et bruni par le soleil était assis, le dos adossé contre le mur d’un magasin d’alimentaires bon marché. Sa barbe hirsute et peu entretenue laissait sous-entendre que son mode de vie ne datait pas d’hier, ce qui contrastait étonnamment avec son costume griffé. A quelques mètres de lui, un fakir avait lui aussi établi ses quartiers, espérant recevoir quelques pièces ou un repas en échange de sa prestation. Les deux hommes se livraient, malgré eux, un combat dont le gagnant serait le plus pathétique, le plus miséreux et le plus méritant afin d’obtenir de quoi manger. Chacun y allait de son talent ; le clochard espérait susciter la pitié et la générosité grâce (ou à cause) de son statut de mendiant, le tout soutenu par son regard de cocker. Quant au fakir, il comptait évidemment sur le caractère ésotérique de son activité pour attirer petits et grands (notamment les enfants qui, de leurs yeux ébahis, suppliaient leurs parents de s’arrêter).
Voyant qu’il avait plus de succès que son colocataire de rue, le fakir décida d’aller à la rencontre du clochard. Lorsqu’il fut à sa hauteur, le fakir remarqua que le mendiant le regardait du coin de l’œil, méfiant.
« – Le temps se gâte… »
- ..
- Bon, écoute, j’ai pas pu m’empêcher de remarquer que les gamins (ou leur parents) préfèrent s’arrêter vers moi et me donnent plus de fric qu’à toi… J’vois bien que tu galères à ramasser quelques francs pour manger… Comme je dois rester maigre pour pas que les clous s’enfoncent dans ma peau, je veux bien partager avec toi … ! ». Par ces mots et à l’aide d’une touche d’humour, le fakir espérait se montrer amical auprès de son voisin de trottoir. Hélas, cela eut le don de piquer au vif la dignité du mendiant (ou du moins, ce qu’il en restait), qui répliqua d’un ton bourru et enragé : « Garde ta graille pour toi ! J’ai pas b’soin de ta pitié ! »
Le fakir sourit et rétorqua, calmement : « Ah ? T’as pas besoin de mes pièces, mais tu t’fais pas trop de problèmes à demander celles des passants… c’est quand même drôle, tu trouves pas ? »
Pour toute réponse, le mendiant cracha à terre, en démonstration de son dédain. Il appuya son geste d’un regard noir, mais ne dit rien. Le fakir resta encore un moment à côté du clochard, l’air songeur. Puis, ses yeux se remplirent de malice et un sourire édenté décora son visage au même moment où un éclair transperça le paysage, comme pour apporter un effet théâtral à la scène. Cela ne passa pas inaperçu et le mendiant fronça les sourcils et, l’air agacé, lui dit : « T’as l’air tellement con à sourire avec tes chicots… ». Le fakir ne sourcilla pas à la remarque de son compagnon d’infortune et se contenta de secouer la tête. Il se tourna enfin vers le mendiant et lui dit, simplement : « Tu sais, à nous deux, on aurait pu être plus malins, attirer plus de monde… et plus de fric ! Mais bon, si tu veux pas et que t’es content de bouffer les restes de sandwich…. à bon entendeur, salut ! »
Whaoo ! J’aime beaucoup. Tellement de plaisir à vous lire… Merci pour ce beau conte que vous nous partagez !
Merci beaucoup, ça me touche… et m’encourage ! 🙂
Moi aussi. C’est vivant, humoristique et très humaniste.
Merci ! 😀