Le type était ce que l’on nomme « entre deux âges ». Ni vieux, ni jeune… de ceux que l’on ne cherche pas à dater.
Vous me direz, l’homme est rarement sujet à datation. La femme oui, mais l’homme…Toujours est-il que celui-ci renvoyait une espèce d’intemporalité  indémodable qui dissuadait de vouloir lui prêter un âge quelconque. 

Vous voyez ces petites tables basses gigognes qu’on se refile de génération en génération car elles sont increvables , restent utiles et ne marquent pas votre intérieur d’un style trop décalé, moderne ou désuet? 
Et bien ce type était une de ces petites tables gigognes…  

Il était seul mais nul doute qu’il en existait d’autres pour le compléter.
Il irradiait la puissance de celui qui se sait complet.

Qui peut, là, me regarder dans les yeux et soutenir qu’il se suffit à lui- même? Je ne dis pas qu’une table gigogne est inutile lorsqu’elle est seule, oh ça non…  je dis juste qu’elle détient sa force dans le fait de se savoir en capacité d’être complétée. 

Je ne sais pas pourquoi je vous parle de ça… Ah si…  
Voilà, il était là. 
Je suis passée à  côté.

 Un sourire aimable, un regard échangé vite fait. Je suis quelqu’un d’aimable. L’amabilité me semble être le fluide le plus naturel pour faciliter les relations sociales.

Bref, je m’égare un peu… j’aime m’égarer.
La perte de repères est parfois l’unique solution pour commencer à en chercher ( des repères…) Aïe… je sens que là,  je vous perds!

Donc, il était là… 
Ah l’instant précis de notre « eyes contact », il me dit avec un accent que je ne saurais reconnaître :

Approchez , soyez près… 

Soyez prêts.

Je vais vous livrer le secret…

J’avoue que sur le moment  j’ai commencé à flipper. La table gigogne prenait des airs de gourou. C’est fou comme quelques mots peuvent effrayer! 
J’ai continué à marcher tout droit, un peu gênée à l’idée que mon amabilité soit si limitée. Après tout, m’approcher. Écouter. Peut-être même converser n’aurait pas été si risqué.

Depuis je me sens… bizarre.
Un peu comme le serait une table gigogne, la plus petite… celle qui ne sert pas beaucoup parce que trop étriquée … 
Je me dis que j’ai peut-être loupé l’opportunité de connaître le secret.

Je me souviens de ma fille qui n’avait que trois ans et qui heureuse de me confier un secret se penche vers moi et chuchote un mot, un seul: « zèbre ». Puis me regarde fière de l’avoir partagé.

Ce mot aurait  tout aussi bien pu être un  inventé, tiens elle aurait pu me dire au creux de l’oreille le mot très récemment créé par l’algomuse: «Lejaxo ». Elle en aurait été également comblée. 
Qu’importe. La valeur du secret est dans le partage que l’on en fait.

C’est fou ces freins que l’on se met. A cet instant, je sais, que  « la  table gigogne » connaissait un secret que je lui ai refusé de partager.

Mon amabilité est décidément trop limitée.

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