N’est pas chançard qui veut !
Aujourd’hui, j’ai invité mon ami à déjeuner ; mitonné un tajine, ajouté un peu de la barbaque d’un mouton qui fut, et quelques bons mots, de ceux qui me restent en surplus. C’était un prétexte, vous avez bien compris. Une question de survie…
Il me fallait vivre, et la vie, pour moi, n’est que survie. Je la pousse comme je peux, au jour le jour, mais bon, je ne vais pas vous embêter…
Nous avons bien mangé, c’était bon. J’avais bien réussi, et le mouton aussi. Mais lui, était mort, et moi, moi j’étais en vie ! Ironie du sort, n’est-ce pas ?
Que s’est-il passé ? C’est simple, regardez :
Le mouton n’a jamais compris qu’en s’approchant de l’homme, il finirait rôti. Mais moi, moi qui suis chrétien, et même un peu bouddhiste, moi je savais bien qu’il finirait ainsi… Alors j’ai bien caché que je le savais déjà !…
Car enfin nous n’étions pas là pour nous apitoyer sur le sort d’un mouton, mais pour nous en régaler ! Et c’est bien ce que nous fîmes. Hum ! Qu’il était bon ce mouton rôti !…
À un moment, pourtant, nous faillîmes en parler, de ce pauvre mouton. Et c’est lui, mon ami, qui ouvrit ainsi la voie : « Eh bien, mon cher Gepetto, tu me gâtes ! Cet agneau est délicieux ! ».
Oh, je me gardai bien de le corriger ; mouton, agneau, veau, vache, co… – ah non, pas cochon, je suis aussi musulman, je l’avais presque oublié. Je m’empressai d’entraîner son regard et toute son attention vers ma plante préférée.
« Regarde, lui dis-je, ma Spaty, cinq fleurs déjà, et nous ne sommes qu’en juin ! Figure-toi que l’an dernier, elle m’en a fait huit ! Y crois-tu !? »
Il me répondit que j’avais les pouces verts, un peu comme il eut dit que j’étais chançard. Ma plante vivait sa vie, ne faisait rien pour moi, et surtout pas des fleurs. Mais le mouton, lui…
Là, je l’interrompis. Et je pris pour ce faire, cette posture d’enchanteur dont je sais qu’à chaque fois, de mon interlocuteur, elle fait le bonheur.
« Le mouton est certainement délicieux, mais il est mort, le pauvre, lui répondis-je. Alors qu’elle, ma chère Spaty, est avec nous, et bien vivante… »
Il ne m’entendit point, mais me sourit.
Je me sentis heureux.
Serait-ce donc ainsi, que nous allons, nous, les hommes ? Qu’en ne parlant de rien, nous parlerions de Tout ?
Mais alors de quoi servent tous ces mots ?
Cest dans la banalité d’une conversation qu’on se protège.
Ma lecture est une belle ode à la différence acceptée. Bien amenée. Merci au mouton !