A l’asile

Mon poisson rouge s’est envolé et ma tête est partie, dedans, c’était la vraie tempête. Je les avais rangés dans le tiroir de ma table de nuit. J’ai tout cassé ma montre, je l’ai piétinée car c’est une imbécile, les aiguilles  bougent tout le temps et ça m’énerve. L’équipage viendra ramasser les déchets. Moi, je vais au restaurant. D’abord, c’est la distribution des petits bonbons de toutes les couleurs. Mais moi, je veux des bleus. Je ne veux que des bleus. Je me mets en colère. « Je-veux-des-bleus » : je crie. On doit être servis correctement. « Les bleus sont mes préférés et vous le savez ». Ils me rappellent la mer, la robe de la Sainte Vierge et aussi le roquefort. J’ai donné les pilules rouges à mon voisin. Il en avait déjà plein les poches. Il mange toutes celles qu’on lui donne. C’est pratique. Mais après, on ne le voit plus pendant trois jours.

On nous sert du poisson. J’ai tout laissé dans mon assiette. Je pense à mon poisson rouge et je rentre dans une grosse colère. Vous l’avez mis dedans avec ma tête : je crie !
J’ai droit à la piqûre. J’aime bien la piqûre. Mon personnel me raccompagne, avec ma boussole, dans mon bateau, avec ma tête sous le bras de peur qu’on ne me la vole et je mets les voiles. Il est tout blanc mon bateau avec des barreaux aux fenêtres. 
Elle sent le poisson ma tête. Ça me rappelle mon copain le poisson rouge. Je suis content et je m’endors. Je suis navigateur solitaire mais ce soir, dans mes rêves, j’ai invité ma voisine, une fille de joie un peu triste, pour l’emmener en croisière. Parfois, je n’aime pas être tout seul.
C’est bien ici, mais la mer me manque et aussi le roquefort.

Aujourd’hui, j’ai un rendez-vous important avec « Monsieur Psy ». Je ne sais pas quel est son métier. Je lui demanderai. Je l’aime bien. Il m’invite souvent dans son bureau, bien plus souvent que tous les autres. Ça prouve qu’il m’aime bien aussi. Je crois qu’on est amis tous les deux. Et puis il n’a pas de blouse blanche et il sent bon. Je voudrais bien l’inviter dans mon bateau mais je n’ai pas de cuisine. Il aime bien discuter avec moi. Il me demande comment je vais, je lui réponds « ça va » je pense «  et puis c’est tout ». « Ah ! Si ! » Je lui rappelle que je ne veux- que- des- pilules – bleues. Je m’énerve. Il dit « d’accord ». Il sait bien qu’il ne faut pas me mettre en colère. Il me demande si je dors bien. Je lui répond « ça va ». Je lui parle de la dame qui est venue me voir hier et qui se prend pour ma maman. Moi, je ne veux pas la voir. Elle voulait m’embrasser. Moi, je n’embrasse pas les gens que je ne connais pas.
Et puis je pars.

Je retourne dans mon bateau avec ma boussole. En chemin, je croise mon voisin, c’est un Président à la retraite. Il tient sa poupée Barbie dans la main. Je lui demande « ça va ? ». Il me répond « moi, oui, mais mon pays est en faillite, je vais devoir abréger mes congés », et il entonne la Marseillaise. Alors tout le monde se met à chanter, mais ça fait trop de bruit. Notre personnel de service (les blouses blanches), nous raccompagne gentiment et l’un d’eux s’entretient avec le Président en le prenant par les bras. Moi, je n’ai pas eu la piqûre, mais le Président, oui. C’est dommage. J’aime bien les piqûres, et aussi le roquefort.
Je pense à mon poisson rouge. Il est peut-être revenu dans le tiroir de ma table de nuit, là où je range ma tête ? Ou alors au paradis ? Il faudra que je demande à « Monsieur Psy », il sait tout, lui.
Quand je serai grand, je reviendrai passer mes vacances ici.

Cette semaine, je suis restée dans mon bateau parce que tout le monde m’énervait. Je suis allé voir mon ami Monsieur Psy. Il m’a demandé si j’avais envie de sortir en ville. Je réponds : « oui , vous venez avec moi ?. Il me dit : « non, j’ai du travail, une autre fois ». Je pense : « C’est dommage ».
Je vérifie si ma boussole est bien dans ma poche. Oui, parce que, un jour, quelqu’un m’a dit : « avec ça, tu ne perdras jamais le nord, là où il y a des ours ». Quand j’étais petit, j’avais un nounours en peluche. C’est peut-être là-bas qu’ils les fabriquent.
Et puis je pars. Il y a beaucoup de monde dans la rue. J’ai un peu peur. Le bruit m’énerve. Les gens me regardent de travers et les arbres ne sont pas beaux. Là où j’ai mon bateau, il y a un parc avec de grands arbres. Un jour, on a tous planté un arbre avec notre personnel en blouses blanches. Moi, j’ai planté un pommier. J’aime bien les pommes. Quand il sera grand, je pourrai lui parler. On ne dit pas tout aux petits. Moi, je suis grand. Je sors même tout seul.
Et puis je regarde les vitrines. C’est plein de choses pour les gens. Mais moi, j’ai tout ce qu’il me faut dans mon bateau. Ici, je ne peux pas rêver. Alors je veux rentrer. Je ne me souviens plus du chemin. Et je prends ma boussole mais elle est méchante. Elle ne me donne pas le nom des rues et je ne veux plus d’ours en peluche. Peut-être qu’elle se dit « il ne sait pas lire ». Je trouve un monsieur qui me raccompagne. Voilà. Après cette nuit, j’irai à l’atelier et je dessinerai des arbres avec beaucoup de pommes rouges dessus. Je signerai mon nom : « Nemo ». On m’appelle comme ça ici à cause de mon poisson rouge. Je sais juste écrire ça. C’est le Président qui me l’a appris.
Il me dit des choses le Président, mais je ne comprends pas toujours tout. Un jour, il m’a demandé si je voulais être son ami. Moi, je n’ai qu’un ami, c’est mon poisson rouge, et, oh !pardon ! j’ai aussi monsieur Psy ! Le Président me parle de la guerre, de la misère ; c’est quoi tout ça ? Ici, dans mon bateau, c’est tranquille. Je n’ai pas peur. Monsieur Psy m’a dit qu’il ne fallait pas l’écouter. Alors je me bouche les oreilles. Ça fait tout drôle ! On dirait la mer !
Mais il est entré dans mon bateau. Alors je me suis mis très en colère. « c’est chez moi ! », je lui dis. Je crie très fort. Je tape des pieds. Je crie. On vient me chercher. Je me retrouve sur un fauteuil. On me met des tas de fils dans la tête. Je n’ai pas mal. C’est rigolo. Et puis ça devient tout noir. Et puis je vois des tas de lumières de toutes les couleurs qui vont de plus en plus vite. J’ai la tête qui tourne. Et puis plus rien. Le noir. Je demanderai à monsieur Psy s’il connaît ce nouveau jeu. Peut-être qu’on pourra y aller ensemble. Les autres se sont moqué de moi. Ils m’ont dit que c’est parce que j’étais fou. Mais moi, je sais bien que je ne suis pas fou, je m’appelle « Nemo ». C’est l’heure de la distribution des bonbons. Adieu. Demain, il faut que je sois en forme, on m’a dit.

Aujourd’hui, on nous a tous réuni. Les chaises faisaient un grand rond ; on s’est assis dessus. Sauf moi, je ne veux pas être à côté des autres.
La belle dame en bleue m’a dit : « asseyez-vous Nemo ». J’ai dit : « non ». Et elle m’a laissé. Moi, j’écoute, sauf quand le Capitaine parlera. Monsieur Psy m’a dit de ne pas l’écouter. Elle est gentille la dame.
Le capitaine dit : (je me bouche les oreilles). Il dit : « l’armée est en déroute, je dois rejoindre les unités ».
un autre dit :
– « pourquoi la lune est ronde puisque la terre est plate ? »
– « n’importe quoi ! Elle est ronde la terre ! »
– « t’es fou ! Si elle était ronde, toute l’eau de la mer partirait ! »
et tous : « ah ouais ! Il a raison ! »
et l’autre rajoute :
– « et tous les poissons crèveraient ! »
Moi je pense : « heureusement qu’elle est plate pour mon poisson ! ».
La dame en bleu écoute attentivement, la tête légèrement penchée. Elle est jolie. Elle me fait signe de m’asseoir juste à côté d’elle. Alors j’y vais. Je suis content, elle sent bon. Sa bouche est rouge comme la pomme que je dessinerai. Les autres, ils font la tête … tant pis pour eux ! Ils commencent à se dandiner sur leur chaises, ils la raclent sur le carrelage. Plus personne ne veut parler. Moi, je suis content.
La dame dit des mots gentils d’une voix douce et moi, je fais comme si elle ne parlait qu’à moi. Je voudrais qu’elle reste avec nous mais elle n’a peut-être pas de vacances. Je pourrais même l’inviter dans mon bateau. Elle nous dit :
– « je reviens la semaine prochaine. Pensez à vos prochaines questions. Bonne fin d’après-midi » et elle s’en va.
C’est dommage !

Aujourd’hui, on fait un atelier . Moi, je fais une grosse pomme. Et le Président ne fait que m’embêter à poser des questions :
– Qu’est-ce que tu fais Nemo avec ce machin ?
– Je suis en plein travail. Tu vois, j’arrondis les angles
– Mais tu n’as même pas vu que c’était une boule. Ça n’a pas d’angle, une boule !
– Mais puisque je te dis que j’arrondis les angles pour ma pomme. D’abord ! Je ne veux plus parler avec toi.
Le Président, dans sa superbe et sa toute puissance, lui, ne fait rien, mais il se lève et récite :
« Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte
Les ennemis approchent ! il faudra qu’ils s’écartent !
Ça met son voisin en colère :
– le voilà qui recommence celui-là avec ses vers. Môssieur l’Éloquent du clan ! Môssieur le tout puissant ! Tu peux le fermer ton clapet ? On ne s’entend même plus penser ici !
« Aux vents légers du soir, aux rayons des matins,
Les vieux grognards criaient : on les vaincra demain ! »
– dis donc, tu vas la mettre en sourdine ? Si tu continues, je vais te faire la tête au carré !, crie le gros, rouge de colère.
Et là, tout dégénère. On monte tous sur les chaises et on tape des pieds. Ma pomme virevolte dans les airs et atterrit sur la tête au carré du Président. Les vers s’envolent et les mots sont sans dessus dessous. Et le Président tombe par terre en disant : « mourir en plein combat pour la patrie ! mon rêve ! ». Et tout le monde s’en va. On le laisse tout seul
Moi, je récupère ma pomme et je pars dans mon bateau donner à manger à mon poisson rouge.

J’ai des choses à vous raconter. Je suis dans un bon jour. Vous ne me connaissez pas ? Vous êtes nouveau ? Monsieur Psy m’a montré : cliquez ici, c’est mon journal. Vous n’êtes pas obligé. C’est un peu long … Moi, je ne veux pas toujours répéter. Ça me fatigue ! Ici, on me fait toujours parler. Quand je n’ai pas envie, je dis : « pas envie », et puis c’est tout.
Bon, les autres m’appellent Némo parce que je vis dans mon bateau avec mon poisson rouge. Ils disent que je suis un vrai navigateur en eau douce. Ce n’est même pas vrai. Il n’y a pas d’eau ici.
J’avais une idée. Hier soir, j’ai chipé un couteau à la fin du repas. Je voulais savoir ce qu’il y avait dans mon poisson. J’en ai fait deux morceaux. Rien du tout. Vide ! Mon poisson !. Alors, je lui ai fait un pansement avec mon lacet, et un joli nœud pour le consoler. Marrant. On dirait un poisson-fille. Je vous le montrerai un jour. Il se repose.
Les autres, ils m’ont dit : « Némo ! Ta tête est vide comme ton poisson ». Pas gentils. Mais quand ils ont la piqûre, ils font moins les fanfarons. Monsieur Psy, lui, il sait tout ce que j’ai dans la tête, surtout quand je suis en colère.
Pour le couteau, attention ! motus et bouche cousue ! Il ne faut pas que la dame en blouse blanche soit au courant.
Vous venez à l’atelier d’art-thérapie ? Moi, je vais dessiner mon poisson-fille avec son gros nœud. Ça fera joli dans mon bateau

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