Accrobranche

Accrobranche

Je suis un épicéa d’accrobranche. Voyez-vous de quoi il s’agit ? Une nouvelle variété sans doute récemment identifiée ? Que nenni ! Jamais je n’aurais choisi d’appartenir à une telle famille.  C’est le hasard de la vie qui a fait de moi un épicéa d’accrobranche. Je vais tenter de vous l’expliquer.

Nous étions tout un groupe forestier, une belle futaie, sur une pente de montagne joyeuse située dans le Vercors. Une orientation est et sud de celles que je préfère. Le matin le soleil nous inonde de ses rayons revigorants, puis vers midi, il caresse nos têtes et l’ombre se développe en dessous de nous. En fin d’après midi quand il commence à baisser, les journées se terminent plus vite puisque de ce côté-ci la montagne nous domine.  Mais on ne peut pas tout avoir. Bref tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes lorsqu’une bande d’individus munis de cordes et de baudriers ont commencé à nous reluquer d’un œil inquisiteur. Ce n’est jamais bon pour nous de voir des hommes hyper équipés nous tourner autour. Mon voisin me dit « attention mon gars ça sent la tronçonneuse » ! Eh bien non ! Finalement à l’aide d’une petite tronçonneuse effectivement, seules les branches basses ont été coupées. Tout le sous bois aussi a été nettoyé. Cela nous a remonté le moral. Ces hommes faisaient ce qu’on pourrait appeler un toilettage de notre coin de forêt. Ouf, nous avions eu peur et pendant quelques jours, nous nous sommes sentis réconfortés, dorlotés, choyés. Mon voisin le pessimiste dit « je sens que ce n’est pas fini. J’ai vu un gars prendre des mesures. Certains d’entre nous ont été marqués d’un numéro. J’ai la trouille ».

 En effet, l’équipe des hommes est revenue avec des câbles et toutes sortes de machins métalliques qui me faisaient penser à des instruments de torture : des plaques, des vis, des cordes, des planches… certains d’entre nous dont je faisais partie, ont été équipés d’une plate-forme en bois située à une hauteur plus ou moins importante de leur tronc, comme un corset d’étranglement. Mon voisin le pessimiste aussi avait sa plateforme. Il me dit qu’il ne pourrait sans doute plus grossir avec ce truc autour de lui. Je lui ai répondu en riant que la plate-forme aurait vite fait d’éclater et que si ces hommes voulaient la maintenir ils devraient la changer régulièrement. Mais rien n’était fini. Les hommes tendirent toute sorte de câbles qui nous reliaient, nous les plus beaux sujets de cette forêt. Il fallait bien se consoler et en prendre son parti, que pouvions-nous faire d’autre, sinon envier ceux qui échappaient à cette sorte de harnachement.

Quelle ne fut pas enfin notre surprise quand les hommes d’abord essayèrent puis réussirent à passer d’un tronc à l’autre, toujours en altitude, utilisant les fameux câbles, parfois des passages aménagés de planches espacées, dévalant ce qu’ils appelaient des tyroliennes, s’écrasant contre nous ou plus exactement contre un matelas amortisseur destiné à nous protéger. Quelle prévenance ! Eh par la suite quand ce fut l’été, nous avons vu débarquer des hordes d’enfants et des adultes aussi, riant, criant, qui semblaient bien s’amuser à pratiquer cette sorte d’acrobatie.

Finalement les petites contraintes que nous subissons se sont révélées pour nous peu de chose par rapport à la joie que nous procurons à ce public humain de sportifs, amateurs de grands arbres et de nature.

Je suis un épicéa d’accrobranche et fier de l’être.

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