Aie … Ouille !@potentillejaune

Depuis son enfance, Théo vit dans le milieu des gueules noires : ses parents, ses grands-parents, ses aïeux ont travaillé en qualité de mineur à Creutzwald pour les Houillères du Bassin de Lorraine. Toute sa jeunesse il a été bercé par les discussions animées autour de la table familiale du dimanche. Theodore, son grand-père menait la danse avec son accent lorrain prononcé. Le jeune homme se souvient encore des explications théoriques (auxquelles il aurait bien aimé se soustraire en chaussant ses grolles dégueulasses laissées dans l’entrée pour sortir jouer au football avec son copain César !) Mais, de fameuses anecdotes croustillantes pour un garçon de dix ans, ponctuaient le récit rébarbatif de Théodore. Théo en était devenu gourmet : il devait patienter s’il voulait entendre l’exploit palpitant de la semaine :

« Tu vois petit, ton aïeul Théodule, était déjà âgé quand il a foncé le puits de Vernejoul en 1954. Lorsque tu es né en 1980 c’est ton père Théophile qui a installé le nouveau chevalement pour l’extraction plus facile du charbon depuis le fond à 570 m. Grâce au système koepe …

Lundi, ce grand idiot d’Oscar est resté accroché avec sa grosse ceinture de cuir au câble de la cage. En un mouvement, Léopold, son adversaire de toujours, a sorti son couteau tranchant à la lame effilée brillante. Oscar a rugi de colère, ses yeux rouges exorbités lançaient des éclairs. J’ai vu sa bouche asymétrique se déformer telle la poupée du film Chucky . J’ai bien cru qu’ils allaient s’étriper ces deux-là ! »

En ce 24 avril 2004, Théo, âgé de vingt-quatre ans a le moral à zéro. La vision des derniers blocs de charbon extraits provoque en lui une nausée irrépressible. Rentabilité, coût, économie et même catastrophes, inondations, éboulements, chutes autant de qualificatifs avancés par ces crevures d’industriels ! Au bord du puits, le jeune homme sent sur ses épaules un poids excessif, la chaleur moite des galeries l’enveloppe d’une odeur âcre. Quatre mille mineurs vont être niqués lors des fermetures définitives de ces mines. Ils sont paniqués à l’idée de se reconvertir, perdre les avantages sociaux et médicaux liés à leur statut et subvenir à leurs familles !