AlgoZimage du 20 juilllet 2023

CARCERI

Qu’est-ce qu’il me prend ? Pourquoi cette obsession des prisons ! Pourquoi ces architectures gigantesques dans lesquelles l’homme se perd ! Quoique la finalité d’une prison soit peut-être que l’homme s’y perdre, après tout s’il peut se retrouver ! Barreaux aux fenêtres aussi larges qu’un homme, poutres énormes portant des cordes et des poulies prêtent à se faire gibet, lanternes comme des cages où des êtres sans nom sont enfermés, escaliers qui ne mènent nulle part, coursives obstruées. Je dessine encore et encore. Je ne pense qu’à cela en ce moment. Mais pourquoi ? Mon esprit exprime-t-il les contraintes qui me lient à ma recherche de commanditaires, leurs exigences. Ou alors c’est moi qui suis prisonnier de mon génie. Suis-je le prisonnier ? Mais qu’elle est ma prison ? Celle de mon esprit, celle de mon génie, celle de mes idées ? Puis-je m’en évader comme les lignes de fuite sur mes dessins ?
Et ses petites silhouettes perdues dans mon dessin, savent-elles quelles en sont aussi prisonnières ? Elles ne se croisent pas, contraintes de rester sur leurs escaliers, ou se promenant sur des balcons, sans se rencontrer, puisque le lieu choisit n’aboutit qu’à un mur. Je ne sais même pas qui elles sont. Peut-être des projections de mon être. Créateur, gardien ou prisonnier au final la prison reste une prison, pour son créateur qui s’y enferme, le geôlier qui garde le prisonnier à moins que ce ne soit le prisonnier qui fasse le gardien, car après tout ils ont besoin les uns des autres.
Je dessine des tours monstrueuses d’énormité, aux blocs de pierre parfaitement ajustés malgré leur taille. Des fenêtres grandes comme des maisons aux barreaux qui ne peuvent être brisés diffusent une lumière quadrillée sur le sol et les murs, elles sont tellement hautes que c’est à peine si l’on voit la couleur du ciel. Est-ce pour que je voie mieux ma propre faute ? Mais qu’elle est ma faute ? Je suis exigeant, colérique certes, mais je suis le meilleur de ma profession, je suis tellement imaginatif et novateur. Ils vont bien finir par comprendre, non !
Qu’elle est ma prison ? Celle de mon esprit qui divague ? Suis-je un être si sombre pour créer ce genre de choses ? Si seulement j’arrivais à dessiner des arbres, de fleurs, des jardins, comme mes autres collègues ! Je ne produis que des ruines et des prisons ! Je m’enferme ! Geôlier de mes peurs, de mes tourments. J’exprime une folie obscure, une part de moi que j’aimerais enfouir, mais je n’y arrive pas je l’aime trop ! Alors je grave en eau-forte, et l’acide ronge le métal de la plaque comme mes dessins rongent mon âme.
Dans certaines églises on trouve des labyrinthes représentant le chemin expiatoire pour permettre aux pêcheurs d’atteindre le paradis. Ils s’enroulent comme des spirales, des coquilles d’escargot. Il faut trouver le bon chemin et prier à chaque pas. Mes prisons ont-elles la même vocation? Mais qu’ai-je à expier ? Atteindre le Paradis : j’y arriverais le jour où je cesserais de dessiner ces univers carcéraux. A moins que je les détruise ?
Plus tard mes dessins évoqueront ils mon génie ou ma folie ? A moins qu’ils nous montrent le monde dans lequel je vis. Une image de ce siècle où les us nous enferment, nous étouffent sous leurs poids, pour rien puisque dans mes dessins rien n’aboutit. Aujourd’hui alors que je guette la commande, et cherche un toit, ce siècle qui ronronne m’exaspère, j’ai tellement de prisons à détruire et un monde à refaire.