Tout appliquée, j’écris soigneusement dans mon cahier : maman aime papa. Je dessine de jolies courbes, comme l’a conseillé la maîtresse. Je m’applique, je m’applique, ouh la la ! J’y mets tout mon cœur, parce qu’un jour, mamie m’a dit que la pensée était créatrice. Et si la croyance est la plus efficace des baguettes magiques, si j’y crois fort fort, tout va bien se passer. C’est pas que je m’inquiète, mais quand même. Mes copains, ils ont tous deux maisons, alors à force, j’ai un peu la trouille. Il paraît qu’on se fait à tout, mais moi j’ai un doute. Je me demande si c’est pas un peu pour se rassurer qu’ils disent ça les parents séparés.
L’autre matin, j’étais devant l’école. Un monsieur attendait en salopette bleue à la grille. Je croyais que c’était un papa plombier, mais j’étais pas sûre. Je l’ai regardé avec mes grands yeux (c’est mon papa qui dit toujours que j’ai des grands yeux, c’est pour ça que je passe des heures à observer). Là, j’ai rien compris. Il m’a donné une pièce : « C’est pour la petite souris, il paraît qu’elle est passée cette nuit ! »
Comment il savait ? C’était vrai, la petite souris était passée, parce que la veille ma dixième dent était tombée. Il faut dire qu’on a perdu notre chat Pépite lors du déménagement (il n’a jamais voulu monter dans la voiture, il s’est sauvé au moment de partir). Le chat parti, les souris dansent, parait-il. Ça doit être pour ça que les souris n’en ratent pas une, c’est la fête chez moi, avec toutes ces dents de lait qui tombent les unes après les autres.
Quand je suis rentrée chez nous, j’avais très soif, alors j’ai couru dans la cuisine. Ouf, le robinet était réparé, ça faisait une semaine qu’on bricolait avec les tuyaux, parce qu’on avait une fuite. Mais comme les artisans sont toujours très demandés, le plombier décalait chaque jour le rendez-vous. Ça énervait beaucoup maman d’ailleurs. Je ne sais pas pourquoi, elle répétait à chaque fois « qui chasse deux lièvres n’en prend pas un ». Il faut croire qu’il était très occupé ce monsieur.
Après ça, papa est rentré. Il était parti depuis deux jours pour son travail. Toute contente, je lui ai proposé un verre d’eau – c’est le grand luxe, quand tout marche ! Il n’avait pas soif du tout. Pourtant, sa bouche était très sèche, ses lèvres collaient, on aurait dit qu’il n’arrivait plus à avaler et il n’avait pas l’air bien du tout. Dans la cuisine, il y a eu de l’animation pendant un petit moment, avec des mots inconnus (par exemple, papa tournait en boucle, je crois qu’il voulait être l’aimant de maman, et qu’il était très triste). Ça s’est calmé, et puis ils se sont fait un gros câlin. Mais du coup, je n’ai pas osé montrer ma pièce.
En tout cas, maintenant tout va bien. Quand j’ai demandé à maman si papa était bien son aimant, elle a retrouvé le sourire : « Mon amant ? Oui ma chérie, ton papa est mon grand amant de ma vie, c’est lui que j’aime et qui m’aime ».
Des fois, ça vaut le coup de se dire les choses, ça évite de se tracasser pour rien. Tout est bien qui finit bien !
Contraintes : Qui chasse deux lièvres n’en prend pas un/Le chat parti, les souris dansent/L’amant/Le plombier/Dans un cahier
Il est superbe ce texte. Il est attendrissant et le point de vue de l’enfant est très réaliste. Bravo!
Oui, c’est vraiment ce que j’ai ressenti moi aussi.
Merci beaucoup pour votre lecture et vos commentaires @Ma Pie, @Sklaera, @melanie chaine 🙂
Angoisse, logique et questionnements enfantins. C’est la petite fille qui m’a confié tout çà. Bravo