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C’est un sdf qui l’a trouvé, posé par une main sans doute bien intentionnée, sur une borne de compostage des titres de transport. Il n’avait aucune intention particulière de se faire transporter où que ce soit, il désirait juste se réchauffer parce que c’est comme ça -et en se nourrissant aussi- que l’on reprend des forces pour affronter la fatigue et le froid de la rue.

Il est donc passé en toute légalité du côté du quai en faisant bipper la machine et personne ne l’a remarqué. Il est resté debout, comme le font les gens qui rentrent du travail et qui ne s’assiéront qu’une fois rendus à leur domicile, mais il ne rentrerait nulle part ailleurs que dans ce métro qui l’accueillait pour un temps bien déterminé et qu’il ignorait. Une rame est passée, les wagons ont libéré puis avalé les voyageurs, le quai a retrouvé le calme, le gars s’est approché du plan affiché sur le mur, a suivi des yeux, lentement, le trajet de la ligne 4, qui traverse Paris en passant sous le fleuve depuis plus d’un siècle. Il lisait les noms des stations, cherchant l’inspiration : laquelle saurait lui offrir un banc-refuge, l’illusion d’une sécurité, pas trop de va-et-vient comme à « Gare du Nord », ni de bruit comme à « Les Halles », pas d’odeur comme à « Cité », pas trop de jeunes bobos comme à « Saint-Germain-des-Prés »… ?  Une autre rame est passée, même scénario, il a suspendu sa recherche, laissé passer la houle des voyageurs puis il a de nouveau accroché son regard aux points mauves sur le mur : d’un côté « Simplon », qui semblait s’imposer, et de l’autre « Barbara », qui cherchait à l’enchanter, chacun à un point d’un terminus. La réponse était simple : il a choisi l’enchantement. D’ailleurs c’était le plus proche. Un quart d’heure. Debout encore, il se poserait en arrivant.

Couché en chien de fusil dos au mur sur une banquette dure dans le bout sans sortie de la station « Barbara », son bonnet sur les yeux et son col roulé sur le nez, il n’eut aucun mal à s’endormir. Pour ne pas perdre le ticket, témoin de son honnêteté vis-à-vis d’un éventuel contrôleur, il l’avait glissé sous le bonnet au-dessus de l’oreille- celle qui se trouvait côté banquette et qu’on ne voyait pas.

 

La fille était arrivée sans remue-ménage, longue mince et brune, comme tombée du ciel, avait prononcé des mots qu’il ne comprenait pas et s’était assise près de lui. Elle avait demandé qu’il tienne sa laine ente ses deux poignets tandis qu’elle la peignait, mais le cordon se transformait en serpent, s’entourait autour de son cou à lui, la queue de l’animal fouettant son épaule tandis que la fille en recul soudain ouvrait les bras en l’air pour recevoir des files d’hommes de femmes et d’enfants qui chantaient en suivant son cercueil à lui… et puis la fille tout à coup se penchait, ça le réchauffait, il était sûr tout à coup qu’elle allait l’embrasser et cela lui donnait force et joie et l’envie de crier de s’envoler et de rire, alors il a sauté vers elle pour l’étreindre et l’emporter et Paf ! Terminus! là, sur la poussière grise du quai, le rêve avait pris fin. Le ticket silencieux a vacillé une seconde d’éternité devant les yeux qui s’ouvraient…

Il n’y a pas eu de contrôleur intempestif, le garçon, étourdi, s’est levé, a frotté ses habits, et le ticket à la main, s’est éloigné en chantonnant… « dis quand reviendras-tu, dis au moins le sais-tu.. que tout le temps qui passe ne se rattrape guère, ….. »

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