Arthur était un funambule, un équilibriste de la vie quotidienne tenant, par un miracle chaque fois renouvelé, sur le fil de sa vie tendue vers demain . Il se serait bien vu acrobate ou jongleur dans un cirque prestigieux où les paillettes tombent en pluie continue sur des artistes épanouis, mais sa vie de petit bureaucrate besogneux en était bien loin. Son horizon était d’atteindre la fin du mois sans passer dans le rouge ; équilibrer son compte en banque, jongler avec les empêtrements journaliers, ces seules acrobaties consommaient toute son énergie. Or voilà justement qu’une dépense inattendue promettait de mettre prochainement ses finances en péril : une vieille créance réactivée par un ex-ami chafouin, une dette oubliée tombée aux oubliettes de son esprit, un écot dû sans écho dans sa mémoire.
L’harmonie était parfaite entre l’humeur d’Arthur et la froide après-midi de janvier au ciel gris foncé et à la bruine persistante. Sourcils froncés, mine renfrognée, il marchait sans précipitation vers son but ayant le sentiment d’être un condamné montant à l’échafaud. Au fond de la poche droite de son manteau d’hiver sa main crispée tenait serré le minuscule coffret hérité de sa grand-mère. Pour quelques billets de banque il allait sacrifier son trésor et se comparait intérieurement à un traitre de la pire espèce.
L’employé en avait déjà vu de toutes les couleurs au cours de ses vingt-cinq années de service au Crédit Municipal, mais là vraiment il était sans voix. Le client avait extrait de sa poche une petite boîte à bijou qu’il avait disposée précautionneusement sur le plateau mobile du guichet, l’avait ouverte et s’était mis à pleurer doucement, silencieusement. Ses larmes, comme des cristaux fondus tombaient en gouttes scintillantes et formaient une couronne liquide au précieux diamant marquise aux mille éclats serti dans la bague de l’aïeule.
Bonsoir @Angelune
J’ai toujours le même plaisir à lire votre prose si fluide et élégante !
Comme une poésie pour moi, ça me donne envie d’avoir une suite magique…