BUTO
Je suis immobile, enfin pas vraiment. Physiquement je ne bouge pas, et pourtant je suis en mouvement. J’ai fermé les yeux pour mieux voir, non mieux ressentir. Les sons résonnent et je suis caisse de résonnance, ils me traversent s’arrêtent, brassent les entrailles parfois jusqu’à l’angoisse, la boule là dans la gorge, juste vers ce trou que forment les clavicules se reliant au sternum. Et puis comme un apaisement un son plus doux, une pluie d’été. J’ai ouvert les yeux, ils sont là !
Des corps nus, intégralement recouverts de blanc. Lenteur des mouvements, épure du geste qui reste suspendu. Corps qui se plient, se tordent, douleur, effroi, incompréhension, recherche de ce qui peut sauver, et que l’on ne trouve pas. Corps qui tombent, se relèvent, n’y arrivent pas, n’y arrivent plus, pudeur.
Corps qui passent au travers de moi, gestuelle ressentie, terreur enlacée, espoir déni. Je regarde, difficile d’embrasser tous ces corps du regard, envie de parcourir la distance, d’y aller, pourquoi ? Pour quoi faire ? Et tout cherche ailleurs. Quoi ? L’anxiété jumelle.
La musique s’arrête, les corps se figent dans la position qui est la leur. Je suis figée, muette, les autres aussi. Silence, l’air qui ne sort plus des poitrines, lourdeur, on digère, on pause, juste un instant. Silence. Le geste passé dans la tête, qui imprime le vécu dans le cerveau. Un vécu non vécu, seulement à corps raconté, qui martèle l’horreur. Puis comme une délivrance un claquement de main, la remontée, comme un nageur en apnée, un autre claquement, une multitude. Le bruit libérateur.
Les corps blancs se relèvent, élégance, souplesse, réserve, comme revenus à la vie, à une vie présente. Ils ont dit, de leurs corps, et nous laissent. Un regard, un souffle, une pression interne, une cellule cérébrale c’est fait autre. Nous ne serons jamais les mêmes.
Sankai Juku dansait !
Philomène, vous m’aviez demandé un jour, ” mais comment faites vous !!!!!! ”
En lisant votre texte “BUTO” je me dis que vous le savez aussi .
Dans l’instant ou vous l’écriviez, vous étiez les danseurs de cette compagnie, vous étiez “Sankai Juku”.
merci beaucoup je suis très touchée
Superbe texte qui m’a donné envie d’aller plus loin. Je ne connaissais pas cette compagnie et suis allée sur youtube et j’y retournerai… Une merveille. Un grand merci de m’avoir fait découvrir cet art à travers vos lignes poétiques.
Je ne peux que bous conseiller d’aller les voir si un jour vous en avez l’occasion, c’est sublime !