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     Voilà trois jours que Juan se morfondait dans cette cellule humide. Trois jours sans parler à quiconque excepté cet étrange geôlier  d’un autre siècle qui lui servait la pitance matin et soir.

Quelle histoire !
Pourtant Juan avait essuyé bien des tempêtes dans sa fuite vers la liberté, perdu tant d’amis, un navigateur désormais solitaire .
    Traqué par les anarchistes comme par les franquistes, laissé pour mort dans une rambla de Barcelone, fugitif, exilé, il avait changé si souvent d’identités, “hombre” sans feu ni lieu, sa famille éparpillée, son père communiste fusillé lors du siège de Tarragone l’année dernière.

    Après tant d’errances, à peine avait-il posé son sac en France que son périple s’était achevée piteusement dans une taverne de Carcassonne.
Saoulé puis capturé et jeté dans ce trou, Juan ignorait tout des motifs de son emprisonnement comme du nom de ses ravisseurs. A ses questions, ce gardien si ridicule en habits médiévaux et chapeau à plume répondait invariablement “Vous verrez cela avec Monseigneur Alaric”

    Juan se perdait en suppositions sur l‘inventeur de ce jeu cruel, cet Alaric…
La nourriture froide que lui apportait le geôlier d’opérette lui donnait mal au coeur. Sa seule distraction tenait dans l’étroit rectangle de pierre au travers duquel il pouvait contempler la plaine quadrillée de blés et de luzernes qui jaunissaient sous le soleil. Au loin, le vert gagnait peu à peu les pentes de la montagne tachée sur son flanc droit par un énorme rocher blanchâtre. Sorte de blessure taillée dans le vert des chênes-lièges.
Juan restait là pendant des heures, jambes tendues sur la paillasse du bas-flanc qui lui servait de couche, les yeux rivés sur ce paysage sans âmes qui vivent.
Mais où était-il ?
Depuis trois jours son imagination s’évadait ainsi dans l’espace de l’étroite meurtrière.

     Au soir du troisième jour, à l’heure de la pitance, une voix tonitruante derrière la porte le fit sursauter et descendre de sa couche :
« Hola Juan ! »
Bruit de serrure et la lourde porte s’ouvrit sur un immense chevalier en armure, la tête coiffée d’un capuchon de mailles qui lui couvrait presque entièrement le visage. Il tenait un heaume sous son bras. Bien campé sur ses deux jambes largement écartées, tête baissée, l’homme inclina légèrement le buste pour déclamer fièrement :
« Alaric de Miramont, comte de Montségur et seigneur du château»
Juan, pétrifié, ne soufflait mot.
« Ne dites rien, devança l’homme en armure. Je vous connais. Vous êtes le descendant de ce scélérat, pourfendeur de notre sainte religion cathare. L’immonde Francisco Ferreol »
« Ne niez pas ! A ce titre vous devez maintenant payer les forfaits de votre ancêtre maudit. »
Abasourdi, Juan se demandait quelle providence mutine l’avait ainsi jeté dans cette mauvaise pièce de théâtre quand soudain Alaric se redressant souleva lentement son capuchon.
Ses yeux étaient beaux, belles ses lèvres et son sourire aussi.

Mais déjà volte-face et voici Alaric qui s’enfuit échappant le heaume qui roula bruyamment sur la pierre.
Avant que Juan ne réalise le pittoresque de la situation notre « chevalier » s’était évanoui, on n’entendit plus que son rire résonner et ses pas précipités entre les murailles.

Une évidence foudroya Juan.
Par la porte grande ouverte, il hurla :
« Pare! Pare! Torna ! Pare ! »*

                                                                                                                    * Père ! Père ! Revenez ! Père!

@rastol

 

 

 

 

 

 

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