Janvier 2002
Elle m’ouvre et, pour la première fois, je sens la pointe d’un stylo caresser mes pages. Ses lignes ne sont pas nettes mais elle écrit sans hésitations. Elle semble excitée. Je me demande qui est cette enfant qui ose ainsi me salir d’encre.
Juillet 2002
Elle écrit même si elle n’a rien à raconter. Plus j’apprends à la connaitre, plus je suis curieux. Sa vie est pourtant banale mais elle la vit avec tant de passion. Qu’a-t-elle mangé ce midi ? Qui est cette personne qu’elle ne cesse de mentionner ? Comment sa mère a-t-elle osé l’embarrasser ainsi ce matin ? Je ne peux m’empêcher d’attendre la prochaine session d’écriture.
Novembre 2002
Mes pages se remplissent rapidement, elle a tant de chose à m’écrire et je n’existe que pour la lire. Je garde ses secrets précieusement, même si j’ai quelques fois failli à mon devoir. Son fouineur de petit frère ne me laisse jamais en paix.
Janvier 2007
Son esprit est tourmenté. Elle n’est plus aussi joyeuse que lorsqu’elle était enfant. Elle me parle de sujet plus sérieux, des questionnements qu’elle n’ose partager avec personne d’autre, sauf moi, son confident.
Janvier 2010
Mes pages ne sont plus les belles feuilles immaculées qu’elles étaient autrefois. Beaucoup d’encre, quelques larmes et le temps les ont déformés. Je porte les souvenirs de ma jeune propriétaire comme des cicatrices sur mon corps. Mais peu m’importe. C’est sa vie dont j’ai la garde derrière ma couverture de cuir.
Janvier 2015
Combien de temps cela fait-il qu’elle ne m’a plus rien raconté ? Son visage, doucement, s’efface de ma mémoire, mais ses souvenirs, eux, sont toujours présents. J’en suis le gardien, et je ne faillirai pas à ma tâche.
Janvier 2020
Elle m’a ouvert, mais à peine a-t-elle lu trois lignes qu’elle m’a refermé, rouge de honte. Ai-je fait quelque chose de mal ?
Janvier 2070
Qui est-ce ? Un visage, mais je ne le reconnais pas. Celui-ci est ridé, ses cheveux sont blancs et quelques dents manquent. Mais ses yeux. Je les reconnaîtrais entre mille. Combien de fois m’ont-ils parcouru ?
C’est elle. Enfin, je la revoie. Elle relit les lignes qu’elle a écrit quand elle était enfant et soudain j’ai peur. Va-t-elle à nouveau me jeter sous le lit pour ne plus me voir ? Mais une larme tombe sur une de mes pages. Elle pleure, mais je ne pense pas que ce soit de tristesse.
Non, ce n’est pas de la tristesse : elle sourit.
J’aime bien l’idée. Mon ressenti : quelques bribes du journal auraient donné toute sa saveur à votre texte. Le questionnement du journal nous donne envie d’en savoir plus.
J’ai apprécié aussi l’idée de focus sur certains instants (dates), comme si le journal lui-même feuilletait ses pages pour s’arrêter sur quelques lignes (parcourues au hasard) et partageait ses sentiments et interrogations, puis poursuivait sans intention précise un autre extrait un peu plus loin dans le temps.
Je trouve ce texte très émouvant. C’est pour moi, un peu comme si le journal avait lui même écrit son propre journal. Je suis assez d’accord avec Mélanie , quelques passages auraient pu donner encore plus d’épaisseur, mais c’est peut-être aussi parce que, nous prenant au jeu, nous voulons en savoir plus sur ce journal intime (qui après tout , n’est pas le notre) ! 😉
Joli. Agréable à lire. Toute une vie qui défile en quelques lignes tout emplies de pudeur et surtout de secret bien gardé ! Un arrière plan émotionnel dans lequel je peux me reconnaître (vu mon âge…).
L’approche de l’exercice est aussi très originale. L’Algobio est loin d’être le plus facile…
Assez d’accord avec mes trois prédécesseures : ce beau texte gagnerait [peut-être] à être soit étoffé, soit davantage incarné ? Dans le premier cas en développant les “ressentis” du journal lui-même ; dans le second en décrivant le contenu (sans forcément le citer directement) ?
Merci à tous pour vos commentaires, j’étofferai peut-être un jour ce texte, comme vous me le conseillez. En tout cas, c’est un plaisir de voir que vous l’avez apprécié. Je vais au plus vite tenter d’autres défis, j’ai beaucoup aimé le principe.