L’homme m’a sorti de son sac. Je le vois, il observe le paysage avec intensité, comme s’il voulait l’absorber, ne faire plus qu’un avec lui. Il a commencé à tracer quelques lignes au fusain sur la toile blanche. Pour l’instant ses pinceaux reposent tranquillement, mais pour combien de temps encore ?
Il me prend, me regarde fixement, vide ses tubes de couleurs et attrape un pinceau, puis relève la tête, la baisse. D’un coup comme mue par une sorte de frénésie, à moins qu’il n’entre en transes, il commence, il se jette sur moi, mélange mes couleurs. J’entre dans une danse amoureuse, il y a lui, le paysage, la toile, et moi. Nous entamons notre valse.
Je suis immobile, il doit savoir où me trouver, où prendre la couleur qu’il vient de créer en mouvements concentriques fusionnant les teintes pour obtenir celle qu’il juge parfaite. Je fais attention à ne pas l’interrompre en déversant quelques gouttes d’une teinte qu’il ne souhaite pas. Mes couleurs il les prend, les malaxe, j’ai parfois mal, mais je ne dis rien, ce n’est pas le moment, plus tard peut-être.
En des gestes précis et rapides il commence à les transférer sur la toile, se recule, observe encore. En d’incessants allers-retours de son œil au paysage, puis à la toile, et de nouveau vers moi, il pose mes couleurs, enfin ses couleurs car elles ne sont plus miennes. Au fur et à mesure de ses gestes parfois lents, rapides, saccadés, lents de nouveau, il insuffle la vie.
Peu à peu la lumière descend, voici l’heure où il me range. Juste avant la fin, je me regarde, je ne suis plus que mélange dans un coin, trous creusés par les pinceaux dans l’autre, je suis blessée mais terriblement vivante, je vibre de son inspiration. Une partie de moi s’est enfuie sur la toile, je suis émotion, sensation fugitive d’un instant de beauté que l’homme à fixer. Je suis son regard, sa main, je suis lui.
De simple plaque de bois à l’ alignement de couleurs je suis devenue souffle de vie. Demain, enfin plus tard, je serais offerte à vos yeux ébahis, me reconnaitre-vous ? M’aimerez-vous ?
moi aussi ! mais ll’admiration est réciproque. Je suis épatée par les textes publiés par vous et d’autres , mais cela a du bon, cela stimule !
Merci, @Philomène écrit, la compagne d’artiste-peintre que je suis apprécie d’autant plus ce beau texte plein de vie, de couleur(s), de lumière(s), de talent, quoi! J’en suis presque jalouse! 😉 🎨
Ne soyez surtout pas jalouse, ou bien nous serons éternellement jalouse l’une de l’autre ! j’ai un bien piètre talent, mais j’essaye ! merci beaucoup pour votre indulgence
Pour ce qui est de la jalousie, je blaguais, bien-sûr. J’étais juste admirative et charmée par votre écrit.