Tout petit déjà, j’avais senti cette âme d’artiste s’exprimer en moi, voulant sortir… J’ai changé de voie pour elle, j’ai emprunté la sienne. J’ai compris que c’était aussi la mienne. Cette âme d’artiste s’est bien développée, à l’école des Beaux-Arts.
J’ai acheté un petit appartement au bord de la mer. Mais quand je me suis retrouvé, seul, face à ma toile, un pinceau dans la main et débutant ma vie, toute inspiration m’a quitté. J’étais vide, vide, vide.
Mon âme d’artiste m’avait quitté.
J’ai encore essayé, pendant longtemps : la preuve, mes toiles sont toujours là, personne n’en veut.
Et puis un jour, de mon étroit balcon, j’ai vu un homme en short et en tee-shirt, transpirant sous le soleil du Midi, passer devant chez moi. Il avait de bonnes baskets, celles d’un randonneur, une casquette sur la tête et un sac sur le dos.
Et là, je l’ai sentie. Après toutes ces années, je l’ai sentie revenir, mon âme d’artiste ! Elle m’a fait m’émouvoir de me tenir pas loin d’un homme qui a fait le tour du monde, un globe trotteur. Un homme qui ne connaissait que le voyage, et qui avait tout vu. J’avais envie de lui demander “D’où viens-tu ? Qu’as tu vu ?” Faute de mieux, surtout faute à la timidité, je l’ai simplement pris en photo, et il a poursuivi sa route.
Je suis retourné dans mon atelier, et je l’ai dessiné, à la façon des impressionnistes. C’était pas mal. J’y avais mis tout mon cœur, mais je m’étais surtout demandé ce qu’il y avait eu dans sa tête, à ce moment là. Cet homme avait tapé dans le tas, il avait tout bouleversé. Et il était là, en face de moi, son visage baigné de sueur, mais aussi d’une grande résolution, grillé par les rayons du soleil.
J’ai proposé mon tableau à des marchands d’art. Il y en a beaucoup qui ont bien aimé, pour un débutant comme moi. D’autres ont critiqué mon non-savoir-faire.
–C’est du chinois ! A dit l’un. “Pourquoi ?” ai-je demandé. “On ne comprend rien à ce que vous avez peint !” A été la réponse du marchand.
J’ai quand même rencontré un autre marchand d’art, Jean le Carte, et il m’a dit que non, ce que l’autre ne comprenait pas, c’était l’art. Et il m’a acheté ma toile.
Elle s’est vendue plus de 1000€.
Peut-être que je n’étais pas aussi débutant que ça ?…
Alors, je suis parti à la recherche du globe trotteur. Je n’imaginais pas encore tous les paysages que j’allais voir, tous les tableaux que j’allais peindre, toutes les peintures que j’allais vendre, jusqu’à ce que je pose enfin ma main sur l’épaule de l’autre, ce globe trotteur, ce voyageur qui m’avait, sans le savoir, tant donné.
Coline : l’imagination au pouvoir ! C’est toujours un plaisir de te lire. Bravo.