- Mesdames, Messieurs ,silence .
- Mesdames, Messieurs, La cour
Le Président du Tribunal, les juges, les assesseurs entrèrent et s’assirent.
- Greffier veuillez procéder.
- Merci Monsieur le Président
- Nous jugeons en comparution immédiate le Sieur Dionysos pour troubles à l’ordre public.
- Procureur exposé les faits
- Monsieur le Président, comme vous le savez notre cité est un modèle dans tout le royaume. Jamais nous n’avons eu à nous plaindre des comportements de nos citoyens, ni de nos visiteurs, pas plus que de celui des Barbares qui viennent commercer avec nous. Mais cet homme, et son cortège, ce sont comportés de manière éhontée. Depuis trois jours et deux nuits, ils chantent à tue-tête, dansent, s’enivrent, forniquent à chaque coin de rue, sous tous les porches et même dans les habitations des citoyens dont ils se font ouvrir les portes par ruse. Nous avons de nombreux témoignages de leurs exactions. Comme tout grec nous aimons le chant, les libations, les danses, mais là, c’est trop ! il n’y a aucune mesure, aucune retenue. C’est sous le commandement de cet homme, jugé aujourd’hui que tous ces abus ont lieu. Non seulement il les encourage, mais il y participe. Nous demandons que ce citoyen qui se dit grec descendant des dieux, dieu lui-même pourquoi pas puisqu’il s’en vante, soit condamné à payer les dégâts , à remettre en état les habitations et monuments dégradés puis qu’il soit mené au-delà des limites de notre cité, avec toute sa troupe de débauchés.
- Citoyen Dionysos, avez-vous un avocat pour assurer votre défense ?
- Non Monsieur le Président, je me défendrais seul, car il est vrai que je suis Dieu, dieu du vin de l’ivresse, des excès, de la folie, de la démesure.
- Oui, vive Dionysos, vive le vin, vive la vie
- Silence dans la salle ou je fais évacuer.
- HOU !
- Mes amis, mes amis du calme, Monsieur le Président et ses acolytes, ont besoin d’informations avant peut-être de nous rejoindre
Rires dans la salle.
- Je ne vous permets pas. Vous dites être Dieu, mais je ne vois aucun temple dédié à votre personne en cette cité, et je n’ai connaissance d’aucun dans les quelques villes qu’il m’a été donné de visiter.
- Et pourtant, Cher Président, je suis fils de Zeus ; c’est lui qui m’envoie visiter les autres peuples afin de porter à leur connaissance sa grandeur. Moi je suis un Dieu sans temple, je n’en ai pas besoin, je suis un éternel voyageur, un dieu errant, je suis d’ici et de nulle part, mes temples sont vos grappes de raisins, vos tonneaux, vos libations, vos fêtes, vos jeux d’amour
- Qu’est-ce qui me le prouve
- Hou !
- Soldats, évacuez de la salle cette troupe de nymphes, ménades, satyres et autres amis du prévenu, enfermez les dans la cour derrière.
- Monsieur le Président, pourquoi ne me croyez-vous pas. Demandez à Zeus, Apollon, ou ma douce amante Athéna, vous verrez ils vous le diront tous, je suis un dieu. Je ne sais pas pourquoi personne ne veut me croire, c’est rageant.
- Enfin Dionysos, vous rendez-vous compte que vous vous promenez monté sur un char avec des tonneaux, du raisin, des feuilles de vigne et du lierre dans les cheveux, coupe de vin en main, précédé par une troupe jouant cette musique assourdissante et se livrant à toutes débauches. Bon avançons, faites entrer les témoins.
- Nous en avons plus de deux cents Monsieur le Président
- Deux cents, ciel, ne peut-on en n’avoir qu’un de chaque, puisque visiblement ils disent tous la même chose.
- Bien je vais regarder ce que je peux faire.
- Premier témoin, monsieur Théophilos Théo Philos
- Ouais mon gars, je vais jurer sur les Dieux, le mont Olympe et tout le reste. Ce…Cet Homme est dan..dange..nangereux m’sieur, pas danger, mais ange heureux t’as compris
- Mais vous avez bu
- Ouais, il a du vin, et, et puis du bon, du vrai bon, pas la piquette, non pas de piquette, du bon. C’est bon, je vais tout dire, ouais, parce que je peux vous le dire à vous mais faut pas le dire, non non.
L’homme passablement aviné, se pencha dangereusement vers les juges. Un doigt sur la bouche,
- Chut…Chut…c’est gratuit, il le donne, tu bois tout ce que tu veux, et puis les poulettes, hoouuu, tu peux en avoir aussi ! mais Chut, hein, t’as compris hein !
- Enlevez-moi ce soiffard, soldat
- Greffier faites entrer le suivant
- Deuxième témoin, monsieur Achille
- Qu’avez-vous à nous dire
- Cet individu est effectivement à la tête d’un singulier cortège, que j’ai suivi pendant deux jours et une nuit
- Vous les avez suivi !
- Oui Monsieur le Président mais je n’ai pas pu les rattraper
Rires dans la salle
- C’est tout le drame de ma vie, Monsieur le Président, j’arrive toujours trop tard ou trop tôt, je n’ai jamais de chance, Dame Fortune ne me sourit point.
- Vous voulez peut-être que je vous plaigne
- Mais je le plains moi Dionysos, il n’y a rien de plus tragique dans la vie d’un homme, sa situation est dramatique, comme la situation de tout infortuné.
- Ne me dites pas que vous plaignez les infortunés de tous poils et de tous crins
- Mais si, c’est grâce à eux que la poésie, le chant existe. Nous n’aurions point de belles et tristes chansons d’amour si les infortunés n’existaient pas, les maris jaloux aussi remarquez mais là les chansons font rire.
- Rire dans la salle
- Si je comprends bien, Monsieur Dionysos, vous faites œuvre de salut public, de compassion, en offrant plaisirs et libations pour consoler nos infortunés citoyens
- Tout à fait
- Oui, oui Monsieur le Président, c’est bien ce qu’il fait, enfin une fois de temps en temps
- Par tous les Dieux, évacuez moi ce quidam, et ramenez m’en un autre
- Monsieur Périclès, Monsieur le Président
- Ah ! enfin un homme sérieux
- Mon cher président, vous vous doutez bien, que je ne partage en rien les témoignages que mes prédécesseurs. Cet homme a fait son lit sur le terreau fertile des bassesses de notre ville, il n’a fait que les montrer au grand jour. Il faut absolument, mettre un terme à de tels agissements c’est une question de bien public. Il convient de faire respecter l’ordre, de censurer ces chansons et ces poèmes contre nature, il vous faut imposer la morale, et je vais vous y aider, cher président. Il faut en finir avec le vice et prôner de nouveau la vertu telle que nos ancêtres nous l’ont enseignée.
- J’ai très bien connu votre père, nous avons pris de ces cuites ensemble.
- Cet homme est un menteur, censuré ses paroles Monsieur le Président.
Le président du tribunal et les juges et les assesseurs ne savaient plus quoi faire. Certes il y avait eu du bruit, le vin avait coulé à flots, ce dont les commerçants étaient mécontent, mais ce Dionysos avait un côté sympathique, alors que les témoins censés représenter les plaignants, moins, à part le dernier sans doute.
- Juges et jurés, nous allons prendre quelques instants pour discuter de cette affaire, toutefois avant je souhaite vous entendre encore une fois, Dionysos, vous avez la parole
- Monsieur le Président, je suis un dieu certes, mais je ne suis pas celui que vous attendez, chez moi tout est folie, démesure, je ne suis ni d’ici ni d’ailleurs, je vis au jour le jour accompagné de ma joyeuse troupe. Mais avoué que je vous fais vivre de bons moments si vous savez en profiter, l’ivresse peut être douce. Je suis populaire certes, on aime mon vin, mais je suis aussi civilisateur, j’apporte la vigne à tous les êtres, les moments de joie et de plaisir. Suis-je blâmable pour cela. Je vous promets de faire amende honorable si votre cité m’adopte, je vous le jure que Zeus m’en soit témoin.
Le Président du tribunal et tous ceux amené à juger Dionysos se retirèrent dans la petite salle à l’arrière du tribunal. Chacun y alla de son commentaire. Au bout de quatre heures Il ressortit de tout cela que
– si Dionysos est bien un dieu il valait mieux ne pas le contrarier
– éventuellement lui demander poliment de bien vouloir arranger un peu les choses
Le Président du tribunal sentit la pression monter d’un cran en pénétrant dans l’amphithéâtre où était jugé le contrevenant
- Monsieur Dionysos, vous nous posez problème. Vous êtes très sympathique, votre fête un brin dérangeante, pas plus que d’autres, non un peu plus , mais vous avez commis de nombreuses dégradations pour faire passer vos chars, vous avez laissé des tonneaux de partout, fait enlever quelques éphèbes et jeunes vierges, c’est un peu gênant quand même. J’aimerais vous laisser repartir libre dans la minute, mais c’est un peu difficile pour certains citoyens de notre ville.
- Ainsi donc, Cher Président, vous reconnaissez ma déité
- Oui mais vous les Dieux vous vous conduisez parfois fort mal avec nous
- Je le reconnais, donc si je fais amende honorable, je pourrais repartir libre de cette ville avec toute ma petit troupe
- Sans aucun problème, nous vous accompagnerons même
- Vous me plaisez, je suis d’accord
Soldats! libérez tout le monde et demain matin vers les 11 heures, si cela vous convient, nous vous ferons une haie d’honneur afin de vous montrer le chemin de votre prochaine destination.
Le lendemain matin toutes traces de la fête avait disparues comme par enchantement. Tout la cité était venue accompagner Dionysos, et lui jetait des pétales de fleurs sur son passage.
Arrivez presque sous l’arche de la porte principale , Dionysos se retourna, se leva, et dit ceci
Mon Cher Président du Tribunal et membres de cette cité : n’oubliez pas : « Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous; enivrez-vous sans cesse! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise.»
Puis le cortège s’éloigna.