Fifi
J’avais rencontré Fifi dans une association. Là, on y côtoyait les paumés, les écorchés de la vie, qui venaient décharger leur fardeau fait d’embrouilles et de désespoirs, ces misères du monde où notre âme se mêle pour tenter de distraire un temps le mal-être.
Il était gentil Fifi, ce petit homme sans âge. Pas bavard, pas bruyant. Il arrivait d’un pas rapide, les deux bras en forme d’anse de panier, dans un long et vif balancement, le torse en avant, raide pour tenter de regagner les quelques centimètres qu’il perdait, en penchant la tête, à regarder ses pieds. Ses courtes jambes adoptaient la démarche du canard pressé de regagner la mare. Fifi semblait toujours être dans l’urgence. Quand il était là, il n’était pas bien. Alors il s’en allait ailleurs mais il s’y ennuyait. Alors, il revenait, coquet, toujours bien mis.
Quelquefois, lorsqu’un brin d’optimisme enrayait la machine à fabriquer sa tristesse, il arrivait vêtu comme s’il sortait d’une noce. Il ressemblait à un communiant qui aurait vieilli dans sa tenue solennelle.
Il s’asseyait, le regard triste du comédien rompu aux scènes mélodramatiques, l’œil fixé sur la porte d’entrée, attendant que le prochain arrivant s’intéressât à lui.
Quand il parlait, les mots se bousculaient, se mélangeaient, alors il faisait court :
– bonjour Fifi ! Comment tu vas ?
– non, ça va pas !
Alors on essayait de le dérider … pas facile ! Je n’ai jamais entendu le son de son rire. Et sourire, pour lui, c’était comme renoncer à son statut de malheureux chronique. Il craignait sans doute de ne plus être chouchouté. – Non, ça va pas -, c’était sa méthode Coué, courte, rassurante, efficace. Il ne pouvait pas changer.
D’une grande discrétion, il ne posait jamais de question. Il avait bien trop à faire avec ses problèmes pour s’encombrer des soucis des autres … Occupation à plein temps …
Un jour, il arriva, aidé d’une béquille trop grande pour lui.
– qu’est-ce qui t’es arrivé Fifi ?
– non, ça va pas ! Je suis tombé dans l’escalier. J’ai fait une bêtise
– C’est quoi la bêtise ?
– ça, je peux pas le dire ! Je peux pas dire la bêtise.
Et il s’en allait, dans son ailleurs, d’un pas rapide et nerveux, de peur d’être trop bavard, au risque de nous livrer un secret encombrant, le cœur gros de rancune et de désirs amers.
Brava Madam !
C’est un peu court, jeune homme !…. on aurait pu dire … etc
Comme c’est terrible de se complaire dans la tristesse!
Un portrait plein de sensibilité pour un Fifi qui nous reste mystérieux…
Le personnage de Fifi est particulièrement bien campé, un portrait subtil et tangible.