TOUT L’AMOUR DU MONDE (Secret de famille)
Rien ce jour-là ne m’avait semblé différent, et pourtant…Peut-être ce léger frémissement dans l’air, une douceur incongrue en ce début d’avril, une luminosité du ciel, une alchimie particulière précédent les affinités électives accordant la matière, un alignement de planètes, bref, je ne sais pas.
J’avais rendez-vous chez des amis, nous devions faire le premier repas en terrasse de la saison, une espèce de rituel.
En arrivant chez eux, tu étais là, me regardant arriver, un peu intrigué, nonchalamment allongé sur un transat. Nos regards se sont croisés, je t’ai salué d’un sourire et d’un bonjour, tu as simplement incliné la tête et fermant légèrement les yeux, puis tu m’as suivi. De ce moment nous ne sommes presque plus quittés. Tu avais fière allure, et imposais un calme et une sérénité de bon aloi contrastant avec la frénésie ambiante. Nous sommes repartis ensemble en fin de soirée. Après ce fut des jours, des semaines, des mois à nous apprivoiser, à nous connaitre, nous reconnaitre, apprendre l’autre, apprendre de l’autre. De toi j’ai appris la tendresse, l’abandon, les caresses, les moments silencieux côte à côte, le vide de l’absence, la joie des retrouvailles, l’amour inconditionnel celui qui fait que dans les yeux de l’autre on voit tout l’amour du monde.
En peu de temps tu as cicatrisé mes blessures, grâce à toi j’ai connu une autre vie où les sentiments, les émotions avaient leurs places et où je pouvais les exprimer, loin des contingences qui étaient les miennes jusqu’alors. J’ai apaisé mes colères, calmé mes fureurs, pris cette distance qui était tienne. J’ai appris à poser mon regard sur d’autres choses que je ne voyais pas avant. Plus tard tu as séché mes larmes simplement en appuyant ton front sur le mien, sans rien dire, par ta seule présence. Tu avais le don d’écouter, quelque part de comprendre plus qu’il n’était donné à certains
Il y avait chez toi quelque chose qui te rendais beau, tu étais un dandy royal. Lorsque tu entrais quelque part tu restais un instant sur le pas de la porte, comme pour humer l’ambiance, puis tu avançais avec détermination, je ne sais pourquoi personne n’entravait ton chemin mais tout le monde te saluait un signe de tête. Tu t’installais dans un fauteuil ou sur un canapé, et lorsqu’on venait te parler, tu écoutais la leucorrhée trop souvent bêtifiante de tes interlocuteurs avec bienveillance. Ceux que tu n’aimais pas avaient simplement droit à ton indifférence, toujours polie, tu t’éclipsais à leur arrivée, pour ne réapparaître qu’au moment de leur départ dont je ne sais toujours pas par quel mystère tu devinais l’heure.
Nous faisions notre chemin ensemble, mais avec cet espace de liberté qui nous était nécessaire, et qui nous allait si bien. Je respectais tes départs et tes retours, comme tu respectais les miens. Parfois le soir je m’endormais seule, tu venais silencieusement te glisser contre moi amenant une sensation de douce chaleur, tu prenais alors ta place dans les courbes de mon corps avec une satisfaction certaine souvent assortie d’un soupir.
Plus tard tu es devenu le confident des enfants. Ils te racontaient leurs soucis, leurs secrets, leurs bêtises, l’inavouable. Ils se sont certainement plus confiés à toi qu’à moi. Tu étais sérieux lorsqu’ils te lisaient leurs pages de lecture, récitaient leurs leçons.
Nous avons passé presque dix-sept années ensemble. Puis un jour tu m’as quitté, pour aller de l’autre côté d’une porte ouvrant sur un autre monde que celui qui était le nôtre Je me souviendrais toujours de cet instant, tu as glissé ta joue dans ma main tu m’as regardé, je crois que tu as souri puis tes yeux se sont fermés pour ne plus s’ouvrir. Je suis restée un moment, perdue, une voix m’a dit « Madame, c’est fini, il faut le laisser partir». Je t’ai laissé, je suis rentrée à la maison, le vide m’a saisi, tu n’étais plus là. Il m’a fallu dire ton départ. Je n’avais encore jamais rien fait d’aussi difficile. Tu étais ma première confrontation avec la mort.
Aujourd’hui encore je trouve encore des traces de toi, dans mes livres, mes cahiers, sur les meubles, au fond des placards. Elles surgissent au hasard des rangements, des tris, comme autant de rappels. Quelque fois il me semble même retrouver ta silhouette dans les nuages. Peut-être que nos morts ne nous abandonnent jamais vraiment, tant qu’ils habitent nos cœurs et nos pensées. Certains disent qu’ils nous attendent parfois dans les arcs-en-ciel, lorsque j’en vois un je t’envoie un bonjour, comme j’en envoie un à tous ceux que j’aime.
Bien sûr un autre a pris ta place, pour combler le vide. J’ai cherché en lui des parcelles de toi tout en sachant que j’avais tort qu’il me fallait accepter la différence. Je l’aime mal sans doute, non c’est certain. J’aurais pu attendre un peu plus, mais tu habitais ma maison tellement bien qu’après ton départ le vide était incommensurable. Je fais de mon mieux, sans doute mal et trop peu, nous avons entre nous plus de distance, moins de complicité forcément. J’espère qu’il me pardonnera.
Il existe maintes façons d’aimer. Nous aimons nos parents, notre conjoint, nos enfants, notre famille, nos amis, sans doute possible mais de façon différente pour chacun. Notre amour pour eux est sans limite, alors que penser de l’amour qui nous liait.
C’était un amour différent, né du hasard des rencontres. Tu avais la place qui était la tienne, j’avais la mienne, sans doute possible. Mais Il y avait chez toi un abandon, un regard, un soupir d’aise lorsque tu étais près de moi à nul autre pareil, je n’ai jamais retrouvé cela.
Tu t’appelais Gigolo, tu étais un magnifique chat de race Bombay, un chat noir, un chat de sorcière, avec un peu de magie en toi. Tu m’as choisi et tu as vécu presque dix-sept ans à mes côtés. Tu étais l’âme silencieuse de notre maison, l’ami, le confident de chacun
Vous parlez magnifiquement de votre chat . Ces êtres sublimes nous charment et nous ensorcèlent avec élégance, discrétion, et contrairement à ce que beaucoup de leurs contempteurs leur reprochent, avec fidélité . Merci .
Gigolo était un chat d’exception ! actuellement j’en ai deux qui s’occupe de moi !!!
Chère @Philomène écrit, votre texte a déjà été publié sur AlgoMuse. Je l’avais d’ailleurs apprécié. Je ne me souviens plus du titre.
Non Mélanie, c’est un texte que j’ai fait pour le concours la nouvelle en 1000 mots de la bm de Fréjus, où j’aurais du être aujourd’hui si je n’avais pas démonté l’humérus et pêter la coiffe des rotateurs!!!
Ouh là là ! @payette… Mais où donc ai-je la tête ! Vous voudrez bien m’excuser tout en notant que j’avais, et en effet, non sur AlgoMuse, lu attentivement et apprécié votre texte plein d’humour, et ce, pour le concours de Fréjus.
Bon courage pour affronter la médecine ! Et encore : pardonnez moi pour mon étourderie.
Vous êtes toute pardonnée, quand je pense que j’ai raté l’occasion de faire votre connaissance 😖😖