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Il habite sur un pont, améliore chaque jour son abri de fortune pour se protéger des intempéries, du bruit, des malveillants. Tout est humide, presque visqueux dans ce mélange de poussières et d’eau, de piétinements et de passages anonymes. Les citadins vont et viennent. La routine quotidienne emporte avec puissance chacun sur l’autoroute de sa vie. Ligne droite ou sinueuse, on ne pense plus pour supporter ce qui nous est dicté. Les injonctions insensées chaque jour sont multipliées, les dérives autoritaires chaque jour insidieusement infiltrées. L’automne dure, le froid pénètre. Ces gens passent à ses pieds, l’ignorent dans l’indifférence, l’évitant du regard, détournant leur trajectoire. Le gris des jours est interminable, le sombre des nuits écrase au sol les frêles vagabonds. La misère est-elle contagieuse ? Ou l’éclat de l’espoir dans ses yeux, trop dangereux ?

Ce locataire de l’hiver a choisi ce lieu en mémoire des Amants du Pont Neuf : vivre tout en grand malgré les ténèbres. L’astrologue lui avait dit que sa vie serait hors des clous. C’était écrit, les astres l’avaient prédit. Il brillerait, guiderait les siens à travers le chaos, serait une lumière dans la nuit. Il s’était imaginé éveilleur de conscience, lanceur d’alerte, dans ce monde allant à vau-l’eau. Il visionnait son destin hors du commun, se projetait un extraordinaire chemin. Celui d’un grand homme, au cœur généreux, reconnu par ses pairs. Jamais il n’aurait pensé qu’il en serait ainsi : isolé, dénigré, invisible, vivant sur un trottoir et ignoré des siens. L’existence n’est pas toujours telle qu’on l’a rêvée. Il suffit d’un rien pour faire tout basculer.

« Le jeu doit valoir la chandelle », chantonne-t-il pourtant en boucle. Honorer la vie à tout prix. Ne pas se résoudre, ne jamais s’identifier à ce que lui renvoie le regard de la société. Malgré le noir, malgré la pluie, il a gardé l’espoir, cet infime sourire en miroir. Il fixe cette lumière au bout du tunnel. Projette incessamment le soleil sur la nuit. « Le jeu doit valoir la chandelle ». Il suffit d’un mot, d’une phrase ancrée, pour être guidé toute une vie. La force de sa foi dans ses yeux vibre chaleureusement, dans son corps chaque jour endormi par le froid.

Quand la jeune fille arrive, délicate et légère, il sent cette brise caresser son visage. Le paravent de ses pensées se lève tel un voile découvrant la mariée. Un halo de pureté vole sur la tête de cette gracile enfant, les battements de son tendre cœur grondent jusqu’à lui. Elle s’apprête à sauter ? Il tend alors sa main vers cette brindille. Elle a choisi ce pont pour venir à lui. Des ailes d’anges s’animent dans les cieux. Toute sa vie prend sens, il est enfin celui qui brille pour autrui. Il suffit d’un geste, pour sauver une vie.

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