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D’ailleurs, qu’était-ce pour Nad, qu’une journée de vacances à la ferme ?
L’effeuillage d’une pâquerette, la caresse à Mijoue, la vieille chèvre qui sentait si bon la chèvre, et le vagabondage vers le torrent, lui prenaient déjà bien la moitié de chaque matinée. S’ensuivaient, pêle-mêle, l’arrivée triomphale de Jean – le facteur “Figaro” sur son héroïque vélo –, la visite de René le voisin, et l’odeur âcre douce de quelque fumet qui s’échappait de la vieille cuisinière à bois… Le pastis, que les deux espiègles compères partageaient, un peu, avec sa grand-mère, faisait le reste de la tourmente matinale.
Et c’est ainsi que, jusque là, chaque matin de chaque “grandes vacances”, Nad avait cru pouvoir sentir l’exubérance, la plénitude et la justesse de la vie campagnarde ! Mais aujourd’hui, elle éprouvait une sensation nouvelle, et inconnue. Elle tenait dans ses mains quelque chose de vivant, qui pourtant était mort depuis longtemps.
“20 juillet 1926”, c’était la date de naissance de la page précieuse. En tout cas celle qu’elle avait lue, mais une force mystérieuse semblait lui dire : “lis, relis la date…”
Jean et René commençant à vocaliser sur Les Noces, c’est le moment qu’elle choisit pour s’éclipser.
À peine arrivée dans sa chambre, elle posa délicatement l’objet sur le plancher. La page marquée d’une feuille séchée s’ouvrit à elle avec dextérité. “1926”… ou, ne serait-ce plutôt… “1916” !? Le doute l’envahit. Elle s’approcha de l’écrit. Les deux étaient possibles. Elle pensa : “les pages précédentes et les suivantes me diront quoi… mais la tunique de hussard, qui gisait dans la vielle malle, est peut-être un indice aussi… Il faut lire. Il faut tout lire…”
Et grand bien lui en prit, le paragraphe d’après, balayait tous les doutes :
21 juillet 1916 :
Bonne pêche ce matin. Pommes de terre me manqueront cruellement, mais j’ai du poisson. Marie absente aujoud’hui. Elle n’est jamais là quand l’autre est là… Mille amis, et Marie ; un ennemi, et voilà…
Non ! Je dois lutter…
Fatigué. Moralement épuisé. Mais survivant, que diantre !
Demain, je t’affronte Malin !
Tout interloquée qu’elle était, Nad, du haut de ses onze ans, sentait que cet homme, cet arrière-arrière grand-père ?, qui s’écrivait à lui-même des choses incompréhensibles pour elle, parlait… vrai ! Elle ne pouvait expliquer cette sensation, mais elle la vivait. Elle soupçonnait que la vie justement, la Vie, ne fût partout dans cette aventure qui l’invitait…
Quand Mamie l’appela, d’en bas… 

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