La débrouille

Un riche industriel devait rencontrer son client dans un quartier réputé pour ses actes d’incivilité et le mot est faible. Il gara son alfa-roméo ‘édizione speciale’ au plus près de l’endroit de son rendez-vous. Un groupe de coquins lorgnait déjà ce bel engin (pas l’industriel ! La voiture !). L’homme, costume trois pièces, sur mesures, était dans ses petits souliers (objets élégants aussi incongrus que des talons aiguilles en pleine jungle). Il toisa les autochtones d’un air méprisant en sortant de la voiture. Dans son quartier habituel proche de l’Arc de Triomphe, il croisait rarement de tels ouistitis...

– hé ! t’as vu l’boloss ! Y nous zieute !

– fais gaffe à tes biftons mec !

L’homme, aussi pâle que sa chemise (en soie), baissa la tête, pressa le pas et s’engouffra dans la boutique de téléphonie aussi protégée que la fabrique de billets de la Banque de France.

Au bout d’une heure, il ressortit, chercha son bip dans sa serviette : rien. Dans sa poche : rien. Pas futé l’industriel ! Dans la précipitation de son arrivé, il avait laissé le bip à l’intérieur de l’alfa. Et, sécurité oblige, un dispositif verrouillait après un délai les portes en cas de négligence…
Le groupe, s’étant octroyé un jour de pause dans son activité, était toujours là, au spectacle… pas pressé.. aussi immobile que le soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe, laissant mariner l’automobiliste fort embarrassé.
Au bout d’un long moment, l’un de jeunes s’avança :

– combien tu files si j’te dépanne ?
– … !
– hé yeuve, faut bien qu’on graille !

L’industriel tendit un gros billet :
– je n’ai pas de monnaie
– t’inquiète, mec ! ça me va

Le jeune sortit un petit outil* qu’il avait en permanence dans la poche de son survêtement et la portière céda en trois secondes, sans effraction, sans rayure.
Sourire-grimace de l’homme à l’adresse du groupe.
Et, comme disait très justement William Shakespeare qui ne savait rien faire à part des pièces de théâtre et autres écrits, et, de ce fait, devait faire appel en permanence à des ouvriers gourmands pour ses menus travaux : « quand les coquins riches ont besoin des coquins pauvres, les pauvres peuvent faire le prix qu’ils veulent.»

* je tais la nature de cet outil pour ne pas faite de nouveau adeptes en ouvertures de portières.

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