Jean arrosait ses scaroles et ses feuilles de chêne lorsqu’Emma apparut derrière le portillon en bois. Il lui fit un grand signe amical et elle s’approcha timide et songeuse comme à son habitude. Ses cheveux détressés qui encadraient la finesse de ses traits renvoyait l’image d’un elfe, une “Mari Vorgan” revenue des abysses sous-marins. Elle se détendit en pénétrant dans le potager et en foulant les allées qui séparaient les carrés de simples des semis de carottes et de courges. Jean l’accueillit avec la simplicité d’un sourire qui n’attendait rien en retour.
– Je termine d’arroser les salades et ensuite nous nous occuperons des cueillettes.
– Merci de m’accueillir, je m’appelle Emma.
– Moi c’est Jean, je vis ici depuis vingt ans maintenant. Ce potager c’est ma fierté et ma boussole. Lorsque j’ai posé mes valises sur ce petit bout de côte, je ne connaissais rien à la terre mais elle m’a tout appris, la patience, le renoncement, la générosité, elle m’a appris la vie.
Emma buvait les paroles de Jean et restait silencieuse perdue à l’intérieur d’elle-même.
Elle s’accroupit pour cueillir les courgettes et les aubergines, garda longtemps en main la rondeur des tomates vermeil puis s’éclaircit la voix et se lança :
– Voilà six semaines que je vis ici ; officiellement je suis en convalescence après une mononucléose, mais j’aimerais m’installer définitivement dans la maison. J’ai besoin d’espace, de temps, de silence et de solitude. J’ai besoin de faire des recherches pour comprendre mon histoire familiale. La voix d’Emma se brisa et elle se retrancha à nouveau en elle.
Jean, attentif et amical lui tendit une main terreuse, elle la serra longuement et laissa quelques larmes perler sur ses joues.
Emplie de la sollicitude de Jean autant que son panier l’était de légumes primeurs, Emma rentra chez elle et enfila son tablier de coton jaune. Elle savait l’alchimie qui fait de quelques légumes un mets délicieux. Elle possédait cet art de l’hypothèse, cette magie de la synthèse qui faisait d’elle une cuisinière hors pair, une écrivaine publique concise et efficace. Elle souriait en préparant un tian de courgettes aux herbes fraîches.
Cet écrit prend de la densité. Toujours aussi agréable à lire.
Je suis d’accord avec Mélanie! Toujours aussi plaisant à lire!!
Quelle sensibilité tant dans les personnages que dans les descriptions. La suite ?
Quel bonheur de suivre l’épisode quotidien de la belle Emma dont la personnalité et les ressentis se dévoilent. Merci pour vos descriptions délicates.
Merci aux “followers” de la jeune femme à la tresse. Je n’écris donc pas le mot FIN pour l’instant, je continue un bout de chemin avec elle (mais ce sera après les vacances sans internet qui s’annoncent).
Texte qui respire le terroir, l humanisme. Vous l avez rendu brillant dans sa simplicité.
Ils me touchent vos textes à épisodes. Et à vrai dire, ça résonne, pour avoir participé il y a quelques temps à un défi que je m’étais fixée, sur un mois, à partir d’une liste de 31 mots. J’avais été très étonnée du potentiel créatif sous la contrainte 1 mot par jour/1 épisode. Et au jour 31, l’étonnement d’une histoire qui pouvait tenir la route. J’espère que vous poursuivrez le récit de La jeune femme à la tresse.