Clémentine Le Gall, 29 ans, était sortie toute fière de chez un voyagiste de Quimper, serrant précieusement de son gant un aller-retour bon marché à destination de l’autre côté des Pyrénées.

Elle le tournait et le retournait constamment entre ses doigts fébriles sans pouvoir encore croire vraiment à ce futur enchantement.

Tout à la fois, pourtant, elle se voyait déjà là-bas, entre Costa Brava et Alhambra, entre Pampelune et Irun, toreros et flamenco, tortillas et paëlla et – allez savoir – peut-être même un beau gars musclé, tatoué et basané qui voudrait bien la sauter, elle, malgré la peau d’orange de ses cuisses potelées qui l’avait toujours complexée.

De retour à son domicile, elle rangea soigneusement dans un tiroir de la cuisine ce papier imprimé fleurant bon une liberté ensoleillée et commença à s’atteler à la recherche d’hébergements et de restaurants.

Deux soirs avant le grand départ, alors qu’elle était assise sur sa valise en bazar pour tenter de parvenir à la fermer, un scoop du journal télévisé de vingt heures la fit sursauter et ternit sa belle humeur: “Un nuage de sauterelles mutantes s’abat sur l’Espagne. Elles dévorent les clémentines.”

“Pfff…” – pensa-t-elle en haussant les épaules – “Pas étonnant que ces insectes mutent avec tous les pesticides que l’on répand sur les champs”.

À ce même moment, son smartphone dernier cri vibra bruyamment: un appel de Nicolas, son frère cadet installé depuis peu à Landeda.

La voix du jeune homme était hilare: “Salut frangine! Alors, on a le goût du risque à ce qu’il paraît? À ta place, je filerai me faire débaptiser avant d’envisager ce trajet!”

Clémentine lui raccrocha au nez tant son sarcasme l’avait irritée. Il n’avait pas changé depuis qu’il était né, toujours prêt à l’asticoter.

Continuant à marmonner, contre leurs parents elle commença à s’emporter: “C’est vrai, quoi, je n’ai pas de chance, moi! Clémentine, Clémentine! Tu parles d’un prénom pour une gamine! Pourquoi pas Renoncule ou Cardamone?”

Le voyage du surlendemain s’annonçait bien: deux heures de Boeing après quatre de train. Mais à bord de l’avion elle déchanta rapidement lorsqu’en voyant l’eau des toilettes en sang se changer elle réalisa effarée qu’elle avait oublié à la maison toutes ses boîtes de tampons. Mon Dieu, pourvu que personne ne remarque l’état de son pantalon!

L’arrivée du groupe de passagers à l’aéroport de Barcelone était tardivement programmée.

Pour Clémentine la Bretonne, c’était la première fois qu’elle se trouvait dans un pays étranger où personne elle ne connaissait.

Commençant à sentir dans son estomac gargouiller un plein bagad de grenouilles affamées, elle se dirigea au plus vite vers une auberge de quartier. L’endroit était plaisant, à la terrasse elle fut gentiment installée mais en quelques minutes par des nuées de moustiques enragés massivement attaquée.

Elle décida donc de se rabattre sur un sandwich à emporter et une canette de thé glacé avant que de héler un taxi pour l’emmener vers la chambre d’hôte qu’elle avait réservée dans une petite vallée éloignée de la grande cité agitée.

L’endroit, hélas, ne s’avéra pas à la hauteur de ses espérances et fit très vite un vrai calvaire de ses courtes vacances.

Le cheptel alentour attirant tiques et taons, ceux-ci ne tardèrent pas à l’agresser chaque fois qu’elle sortait se promener.

Sa logeuse, de surcroît, était une vieille acariâtre qui à chaque dîner lui servait une soupe saumâtre.

“Quelle peste que cette femme” – grommelait-elle en son for intérieur – “Et quelle plaie, après tout, que cette terre ibérique. Ma prochaine excursion sera en Egypte.”

Ses piqûres inflammées la démangeaient tant qu’à force de les gratter en furoncles elles s’étaient transformées, lui enlevant tout espoir de pouvoir essayer de draguer. Sûr, même, qu’une fois cicatrisés, ils laisseraient sa peau totalement grêlée.

Pas d’autre issue quotidienne pour la jeune femme que d’aller noyer dépit et ennui sur une petite plage isolée des plus proches parages.

Au septième jour, alors que sur le sable chaud elle se languissait sous sa carapace d’huile solaire parfumée, une ombre gigantesque dans les cieux au-dessus d’elle survint à planer.

La bête était verte et ailée avec de gros yeux globuleux à facettes et ne tarda pas à plonger en piqué sur la belle armoricaine à-demi ensommeillée.

Deux mandibules acérées se plantèrent dans son joli cou bronzé et de suite dans les ténèbres son âme fut entrainée.

La première née de la famille était décédée. Il ne restait plus à la créature hors-nature qu’à la déchiqueter, la mâchouiller, la savourer.

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