Peser ses mots lorsque l’on rencontre cet inconnu, être attentif à bien écouter.

Ne pas simplement ouvrir les yeux mais tenter de vraiment le regarder, de le voir dans son entier. Cela prend du temps, il ne faut pas être pressé. Pour découvrir l’Autre prend ton temps. Le temps c’est ce qu’il n’a pas, ce qu’il n’a plus vraiment. Quand il arrive parmi nous, son temps est déjà trop passé, tout ce passé durant lequel, mille fois, il a pu trépasser.

Victoire pour lui, il est parmi nous ! Si vous le voyez c’est qu’il y est arrivé. Il a réussi à rejoindre la terre, ce pays tant souhaité, oui, mais à quel prix ? Souvent le prix d’une vie, celle du compagnon qui y sera resté, ou sa propre existence, la sienne qui malgré tout ne sera plus vraiment à lui. Il est parti pour un rêve de paradis, il est parti avec tous les espoirs d’une communauté. La famille entière compte sur lui, la famille et toutes les personnes qui savaient qu’il partait.

Jeune ou adulte il porte le poids de l’exigence

“Réussir mon fils tu devras et seulement alors, fières, nous serons de toi”.

C’est ce qu’il pense au fond de lui, c’est ce qu’il pense qu’ils ont dit. Le poids des mots est aussi là, poids des paroles prononcées, ces paroles qui raisonnent, cette petite voix d’un peuple entier.

Toi qui es là, qui le découvre, écoute-le quand il sera temps. Donne-lui ce temps pour qu’il parvienne à faire confiance et se confier à toi. Tu as la chance de rencontrer quelqu’un que tu aurais pu ne jamais croiser. Mais la vie fait bien souvent des surprises inespérées, plus que tu ne crois c’est toi qui gagnes la richesse de l’étranger. Il va t’apprendre bien plus sur toi que tu ne pourras lui procurer. Ecoute le jeune sage qu’il est, quinze ou seize ans déjà usé. Il arrive tout cabossé, par ceux qu’en route il a croisé. D’heureuses rencontres l’ont aidées à parvenir jusqu’à toi mais à quel prix ? Si tu savais tout ce qu’il a dû traverser ! “La mer n’a pas de taxi”, titre d’un livre fraichement écrit. Un livre de plus qui parle d’eux, de lui et de tous les disparus. La grande bleue n’est pas la seule qu’il a laissée derrière lui, entends ce qu’il pourra te confier. 

Crée un lien si tu le peux, si tu le laisses venir à toi, tu pourrais peut-être prêter ta voix à ses mots durs mais qui racontent la migration, l’insoutenable, la catastrophe d’un siècle atroce. Lui te racontera son village, son enfance et ses jeux quotidiens bien loin de ce monde qui est le tien. Tu prends alors la mesure de tes croyances bien ancrées, tellement loin de sa réalité. Tu n’imagines pas ce qu’il a traversé parce que toi déjà tu t’es noyé, tu le regardes et tu comprends que tu as devant toi un rescapé. Ce jeune qui a déjà vécu plus de vies que toi en seulement deux années, tu comprends que ses mots sont le début d’une histoire qu’il va te raconter.

L’histoire de ce jeune migrant, écoutes là et quand tu l’entends vraiment, tu l’aides à peser ses maux pour la première fois.

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