Cet échange épistolaire m’intriguait encore plus que le mutisme de mon écrivain. La connivence de ces deux amis suffisait à leur joie. Plus rien n’existait autour d’eux.
Mais aujourd’hui, je fais l’ouverture de mon établissement avec la ferme intention de percer leur mystère. J’y avais réfléchi pendant toute la soirée précédente et j’avais peut-être trouvé, sans certitude, la solution pour pouvoir communiquer avec eux.
A 11 heures tapantes, je vois arriver mon écrivain seul. Avant que les habitués n’arrivent, envahissant les murs de leurs rires sonores et leurs blagues salaces, j’écris sur un papier « Bonjour Monsieur, je vous souhaite une bonne journée » signé « Pascal », que je pose discrètement sur sa table ; et je retourne à mon travail avant le coup de feu du service de midi.
La salle se remplit petit à petit. Je sers un plat unique : blanquette de veau accompagnée de riz blanc et d’un petit ballon de rouge.
Ensuite, les jeux s’organisent, routine indispensable à l’équilibre de chacun. A peine la table débarrassée mon écrivain se met à écrire sur papier libre et non sur son cahier, comme à son habitude. Toujours dans la pénombre du fond de la salle, absorbé par son travail, rien ne semble ni l’intéresser, ni le perturber. Même mon petit mot ne produit pas la réaction que j’escomptais de sa part. Je pourrais en être blessé mais j’ai le sentiment que derrière cette allure d’ours, il y a quelque chose de caché. Je jette de temps à autres des coups d’œil discret, mais il reste imperturbable et plus concentré que jamais.
En fin de journée, à la fermeture, mon écrivain plie ses feuilles en quatre et les glisse dans une enveloppe qu’il me tend avec un bref « bonsoir ». Puis il part précipitamment. Je baisse le rideau de fer et rentre, impatient de lire ce texte.
Je t’avoue, chère amie, que je n’avais pas lu les deux premières parties du cahier. (Deux, n’est-ce pas ? Ce qui en fait la suite N°2… et non N°3… Ou ai-je loupé une partie ?)
Ayant lu celle-ci un peu par hasard, en me mettant “au travail” ce soir (tu l’as publié juste à ce moment-là…), je me suis dit comme ça : “Tiens, mais… Mélanie se prendrait-elle au jeu de la narration romanesque ? Car tout est déjà là, n’est-ce pas ? Ces deux “personnages” n’attendent plus qu’une faute d’inattention de l’autrice pour devenir… vivants ! Se libérer, et même : tenir sa plume ! Lui faire écrire le récit de leur propre vie. La forcer, s’il le faut, dans leur monde à la fois si proche et si lointain de son imagination. L’asservir à cet objet inconscient de la création qu’on appelle “littérature” ?…
En tout cas, avec quelques mots simples, quelques idées discrètes, presque timides, et “une blanquette de veau accompagnée de riz blanc”, tu m’as vraiment donné envie de percer avec toi le secret de cet écrivain !
Brava Madam !
Tu n’as rien loupé. merci, j’ai corrigé. révélation du mystère à la suite 3
Vous maitrisez l’art du suspense avec bonheur, je suis suspendue à votre plume…
Chaque jour j’attends avec impatience la suite de cette magnifique nouvelle qui se tisse dans un suspense haletant .Merci 🙂
La tenancière est un tenancier et l’attitude mystérieuse de l’écrivain me jette sur le texte suivant.