Chapitre 2

J’arrête le moteur. Les fleurs sont sur le siège passager, onze roses rouges achetées vite fait, garé en double file, tandis que les feux de détresse battaient au rythme de mon cœur, sur le tempo de ma culpabilité.

Je ne sais pas vraiment ce qui pèse le plus dans la balance : est-ce mon manque d’attention pour celle qui est sensée partager ma vie, mes mensonges, mes aventures sans lendemain, ou pire peut-être ce sentiment de vide, cette sensation de vertige qui m’envahit lorsque je pense à Constance ? Jamais très longtemps, d’ailleurs, car ce vertige m’amène très vite près de la nausée, et alors je choisis de penser à autre chose. Je ne suis pas dupe ; cet écœurement, ne vient pas de qui elle est. Constance est belle et talentueuse, et si ces coups d’accélérateurs qu’elle donne à la vie, avant de s’enfoncer dans des abîmes de tristesse et de colère m’insupportent, je n’ai pas oublié que ces vertiges là, m’ont rendu fou-amoureux d’elle il y a 27 ans. J’ai choisi de les oublier, voilà tout ! Pire de les regarder autrement, sous un angle qui me permet de petits arrangements personnels quotidiens, sans trop batailler avec ma conscience. Tout du moins, jusqu’à maintenant. Parce que là, assis à coté des onze roses rouges, je me dis que ma vie est effectivement un désastre qui s’est étendu à la vie de ceux qui me côtoient.

Il est déjà 14h30, pas de temps à perdre si je veux être à Grenoble en fin de journée.

***

A peine entré dans l’hôpital, l’odeur ravive en moi cette sensation de nausée, si souvent ma compagne ces derniers temps. Cocktail d’odeurs de nourriture et de désinfectant … J’emporte avec moi dans l’ascenseur les effluves de la maladie, de la souffrance, de l’enfermement, des larmes et des déchirements. Puis je me demande pourquoi Constance est ici, à l’hôpital et non dans la clinique privée de mon ami Claude ? Tout simplement parce que je n’étais pas là pour prendre soin d’elle. Mais d’ailleurs comment s’est passé son transfert jusqu’ici ? Y avait-il quelqu’un auprès d’elle ?

La réponse se faufile en moi lorsque j’ouvre la porte de la chambre 610. Son agent et ami, Olivier est près d’elle, tout près, assis sur le bord du lit.

Brusquement, l’envie me prend de faire demi-tour, la colère me crie que je dérange, que finalement elle s’est très bien débrouillée sans moi, comme d’habitude. Puis je prends conscience du bouquet de fleurs entre mes mains ; la culpabilité est toujours là me priant de jouer le rôle du mari inquiet, désolé de n’avoir pu être là plus tôt pour la soutenir. D’autant plus que je ne me suis jamais vraiment interrogé au sujet de leur relation, la laissant évoluer dans mon imagination au gré des mes humeurs : tantôt volages et apaisées par l’éventualité d’une liaison amoureuse entre Constance et Olivier, tantôt résolues à préserver un cadre familial stable, et déstabilisées par la pièce qui se jouait peut-être en coulisses.

Olivier me dit qu’il était prêt à partir, qu’il nous laisse seuls, et il s’en va. Je pose le bouquet sur la tablette, prends une chaise que j’approche du lit.

« Comment ça va ? »

– Mieux, comme tu peux le voir. Je sors demain normalement.

– Est-ce que tu as besoin de quelque chose ?

– Non, ça va aller. Lola va venir quelques jours à la maison à mon retour. Et toi, ça va ? 

– Pas trop. Un gars de l’usine de Grenoble s’est suicidé ce matin. Je dois y aller en fin de journée et je ne sais pas trop comment gérer ça.

– Je te fais confiance, tu vas user de ton charisme naturel. Quelques jolies phrases, les larmes au bord des yeux et ils n’oseront même plus penser que l’usine peut être dans quelque chose dans ce drame.

– Tu sais, c’est plus compliqué de ça.

– Oui, c’est vrai que je ne comprends pas grand-chose à tes affaires. Tu sais bien, je vis dans un autre monde… »

Le ton n’est pas monté, Constance parle doucement, tristement. Elle a de nouveau endossé son habit de victime. Une victime à triple visage, qui tour à tour me persécute, me culpabilise, puis ensuite veut me sauver. Quoique ces derniers temps, elle n’ait pas vraiment entrepris d’opérations de sauvetage.

A ce stade de ma réflexion, dans le silence de la chambre d’hôpital, baissant les yeux pour ne pas voir les larmes dans ceux de Constance, inévitablement je pense à Sophie : il faudra que je lui parle de ce drôle de jeu, pas très drôle.

« Bon, je vais y aller … Je dois rappeler Florence pour savoir si à quelle heure je décolle ».

Depuis quelques temps, depuis ma relation téléphonique avec Sophie plus précisément, et sans que je sache bien quel en a été le déclencheur, je ne parviens plus à appeler Constance « Ma Chérie », et de nombreux points restent suspendus dans les silences ponctuant mes phrases.

« Tu rentres quand ?

– Je ne sais pas, je te rappelle. Prends soin de toi.

J’embrasse rapidement Constance sur le front, tandis qu’elle me répond :

– Bon courage, Paul ».

Paul. Etonnamment, derrière la tendresse, ou peut-être simplement la gentillesse avec laquelle ma femme a prononcé mon prénom, émerge une sensation inconnue : ce pourrait être comme si j’entendais ce prénom, « Paul », pour la première fois de ma vie. C’est comme un prénom inconnu et pourtant familier. Peut-être suis-je momentanément étranger à moi-même, à moins que ce ne soit Constance qui ait changé de tempo. Je ne sais rien de ce nouveau rythme, de ces sonorités à la fois plus douces et plus détachées, et je ne prendrai pas le temps de m’y attarder, j’ai un avion à prendre. Des gens m’attendent ; et cela maintenant il faut bien que j’y pense. Le moment est venu de réfléchir à ce que je vais leur dire.

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