Il y a des jours, comme ça, où l’on ferait mieux de se couper la jambe gauche pour ne pas avoir à se lever dessus.
Enfin, en l’occurence, la belle à qui c’est arrivé n’aurait pu se la couper, la jambe gauche, et pour cause !
C’était une sirène.
Une sirène sicilienne.
J’aime les retours de ligne.
Bref.
Donc c’était une sirène, et comme toutes les sirènes, elle était mi femme en haut, mi poisson en bas, et aimait par-dessus tout les dragons.
Pas les dragons cracheurs de feu, brasseur de vent ou siphoneurs d’eau salée, non ! Mais les beaux dragons napoléoniens. Ceux avec les beaux costumes, et qui courent à cheval (j’aimerai d’ailleurs qu’on m’explique ce concept fort curieux de courir à cheval, comment font-ils ? Du surplace en courant à dos du fier canasson galopant ? Mystère…) et qui donc, disais-je, qui courent à cheval.
Ah ! les beaux dragons tout rutilants d’orgueil et de médailles ! Ah ! que son coeur chavirait à ces idées, à la sirène.
Aussi avait-elle conçu avec force art une bergerie, rien que pour ses dragons. Qu’elle était belle, sa bergerie ! Et d’un confortable avec ça !
Il pleuvait des obus, en ce temps-là, du côté du Piémont et d’ailleurs, et la mer rapportait un lot quotidien de soldats en tout genre.
Peut-être, avec un peu de chance, le cadavre pas trop mort d’un dragon s’échouerait-il sur sa plage ?
Elle priait Poséidon, Océan et toute la clique, ardemment, frénétiquement, si bien qu’un jour, ses suppliques semblèrent porter leurs fruits.
Là-bas, au loin, flottait paresseusement le corps rougeoyant d’un militaire. Il portait sur la tête un beau chapeau en barbe de castor, et à son flanc une épée toute neuve et qu’il n’avait pas même eu le temps de défourrer.
La belle plongea, papillonna jusqu’à lui, le prit, et brassa au retour.
Lorsqu’elle le déposa, elle sut que c’était lui. Il avait le trait encore fin, malgré sa cinquantaine, des cheveux se devinaient dans l’océan insondable de sa calvitie, et derrière cette adiposité, l’on imaginait encore le muscle endormi.
Ah ! elle était au comble de l’extase !
Elle l’avait, son militaire, son dragon !
Prenant mille précautions, car après tout, on ne prend pas chat sans mitaines, la belle poissonne déshabilla le quinquagénaire, et le para de mille algues et coquillages.
Ne manquait plus que la livididé, et on l’aurait pu croire pour un béluga mort. C’était magnifique !
Ainsi attiffé, elle le mit en son enclos, et attendit que le beau brun (elle l’imaginait brun) se fut réveillé.
Le bougre ne tarda pas trop, et ouvrit bientôt l’oeil (il n’en avait qu’un de valide, ayant laissé l’autre à un champ de bataille, de bataille ou de topinambours d’ailleurs, je ne sais plus).
— Boire, dit-il de sa voix éraillée.
La belle plongea dans l’onde et en ressotit une jarre rempli d’eau limpide.
— Tiens, beau militaire, bois donc ce breuvage.
L’homme le but…
…et le recracha.
— De l’eau salée ?! Tu veux ma mort, sorcière !
La demi-poissonne, un peu vexée, le sermonna.
— C’était le coeur de la meule océanique, le meilleur morceau !
— Eh bien c’est pas bon !
Mais comme il toussait, elle se radoucit et lui alla chercher de l’eau d’un vieux puits, de l’eau douce.
— Mmh, elle est douce, dit-il à très forte raison.
— Comme moi, répondit malicieusement la chimère.
— Où suis-je ?
— Chez moi.
— D’où viens-je ? (Quelle philosophie ! Quel existentialisme ! Ah ! Heidegger ! Sartre ! venez à moi !)
— D’autre part.
— Qui suis-je ?
— Un dragon.
— Un dragon !!
L’homme, vert de rage, se redressa, se rémorant tout. La guerre, la bataille, l’attaque, la charge, la mêlée et la déroute jusqu’à son évanouissement.
— Un dragon ? Ah ! non ! Qu’on ne me parle pas de dragons ! Tous des imbéciles !
— Non ? Vous… vous voulez dire que vous n’êtes pas un dragon ?
— Non madame.
Et ce disant, il gonflait le poitrail et pointait son nez d’orgueil.
— Je suis un hussard, moi, un vrai. Pas un de ces freliquets qui se la coulent douce.
« En parlant de douce, ma mie, n’auriez-vous point encore de votre eau salvatrice ?
— Mais, c’est affreux ! Moi je voulais un beau militaire !
— Sans être Apollon, je ne suis pas tout à fait Vulcain.
— Je voulais un dragon !
— Eh bien vous aurez un hussard, et puis voilà tout !
La sirène plongea en boudant.
Comme la bergerie se trouvait sur une île, et qu’une île, majoritairement, c’est entourée d’eau, le pauvre hussard ne savait trop comment sortir de là. Il crut même qu’il allait bientôt mourir, faute de nourriture et d’eau potable.
Mais c’était sans compter sur le cœur généreux de la petite sirène, qui le soir-même, ressortit des fonds marins lui donner force victuailles pour affronter la vie de Robinson.
La sirène rongeait ainsi son frein, enfin, celui du cheval du hussard, et se disait qu’après tout, faute de grives… (N’étant pas un proverbe imposé, je ne vois pas pourquoi je le finirai celui-là.)
La coexistence essaya, au début du moins, d’être pacifique. Mais hélas, le cœur des hommes est volage, et celui du hussard n’y dérogeait pas.
Aussi prenait-il l’habitude, les jours où la belle s’allait au fond de l’océan quérir la pitance du jour, d’aller compter fleurettes à d’autres nageoires, car, disait-il, il ne pouvait souffrir du froid trop longtemps.
Il s’amouracha tout d’abord d’une belle étoile de mer. Lassé, ce furent une dauphine puis une hippocampe. Bientôt, toutes succombèrent à son charme secret.
La sirène, un jour qu’elle rentrait plus tôt d’une chasse fructueuse, le découvrit tout électrisée sous le corps d’une méduse.
Elle n’y tint plus, et prit un bâton pour remettre en place certaines idées au hussard, comme on redresse des plants avec un tuteur.
Mais hélas, et comme le dit cet adage fort juste et qu’il serait bon de méditer plus souvent en classe, à femme hargneuse, mari brutal. Le hussard, surpris par le coup, rejeta la méduse et donna une gifle à l’écaillée, laquelle la lui rendit en coup de poing, bien vite rétorqué par un coup de pied.
C’en était trop, le coup était facile, petit, mesquin.
Le bougre savait que la belle, n’ayant pas de pied, ne pouvait riposter de même.
Alors, ivre d’ire, elle chopa la poignée du sabre, celui qui pendait à la ceinture du soudard, le tira (le sabre, par le soudard) et le planta en plein dans sa panse (au soudard, par à elle, la sirène, il faut suivre).
Son œil s’orbita, avant de s’aller rouler par en haut et de disparaître sous l’arcade.
Le bonhomme tomba mort.
La belle demeura hébétée un moment, auprès de ce cadavre, puis elle pleura, tant et tant que l’océan grimpa, et que de l’île ne resta plus qu’un petit mont pierreux.
La mort dans l’âme, le cœur lourd de remords, elle prit l’habit rouge du hussard, et s’en vêtit. Ce serait sa croix, son Golgotha, son chemin de Damas, bref, sa repentance.
*
**
Les années passèrent. Il y avait bien encore quelques corps, échoués sur la rive, mais ils n’avaient plus la mine aussi fière que son hussard.
Un jour, pourtant, quelqu’un aborda le petit îlot. C’était un homme, un homme jeune, qui voguait sur un canot.
Il jeta l’ancre, mit pied à terre, dit merde ! car l’ancre ne tenait à rien d’autre qu’elle-même, se demanda comment il allait retrouver son canot, qui déjà dérivait en d’autres eaux, et là, croisa la belle endeuillée.
— Bonjour, sirène.
Elle ne lui répondit pas, toute à son chagrin accablée.
— Je me suis perdu, peux-tu m’aider ?
La belle osa un timide regard, et là, son œil mira la hache qu’il tenait au flanc.
— Es-tu un militaire ?
— Heu… Si on veut…
— Un dragon ?
— Un dragon ?… Je pense que je combats plutôt les dragons, indirectement, va s’en dire… Je suis pompier, je venais voir s’il n’y avait pas de naufragés sur cet îlot, mais il semblerait que, tout compte fait, c’était moi que j’étais venu chercher, tenta-t-il de plaisanter, hasardant une dernière œillade sur son canot que l’horizon avalait.
La sirène sourit.
— Je crois que c’est toi que je cherchais, beau militaire.
Et sans plus attendre, elle se jeta sur lui, le désapa, le resapa de son costume rouge, et le sapeur ainsi sapé était si élégant, que lorsqu’il rentra, à dos de sa sirène, à son port natal, les habitants s’en trouvèrent impressionnés.
Le pompier eut les honneurs de la ville, et ne quitta jamais plus ni son rubicond costume, ni sa poissonneuse amante, qu’il aimait comme lui-même, et même plus.
Et tous de soupirer, le voyant cheminer vers le littoral : « C’est le pompier qui a rendez-vous avec sa sirène. »
Depuis lors, et en l’honneur de cet événement, il est de coutume universelle qu’un pompier soit nappé de rouge, et réponde aussitôt présent à l’appel de la sirène.
Ce sera tout pour aujourd’hui.
Il en faut de l’imagination pour écrire toutes ces histoires 😅 ce que j’aime par-dessus tout , c’est que je souris à la lecture voire même je ris ( le coup du proverbe imposé par ex…) , et cela fait un bien fou! Merci!
@Ma Pie Content que ça fasse rire ! #^^#
Que voulez-vous que je vous dise ?! : j’adore ! na ! c’est dit.
Oh ! merci ! ^^ Clair, net, précis !