« Ce livret ne vous regarde pas, alors rendez lui la pareille! »
C’était un carnet à spirales, tout ce qu’il y a de plus basique. Un de ces objets simples qui vous bouleversent d’efficacité. La petite phrase de mise en garde, faisait effet d’une accroche , sorte de « teaser » volontairement laissé là pour ferrer le lecteur… un peu comme le gros titre « journal intime » qui éveille malgré vous, votre curiosité.
– Et vous l’avez ouvert?
– Quoi donc? Le carnet? Évidemment! Vous ne l’auriez pas fait, vous?
C’est une pépite dans notre quotidien ! La trace de vie… L’empreinte de normalité dans notre monde insensé !
Synkiv, le 16 décembre 2021
Cher journal,
Aujourd’hui, je crois pouvoir dire que j’ai achevé la première partie de mon «mémorial aux optimistes » . Il y a plus d’un millier de pavés, et j’espère bien pouvoir en faire d’autres encore… Je sais que cela semblera sans doute peine perdue pour les broyeurs d’espoirs mais il est temps de marquer notre époque d’oeuvres positives.
J’ai choisi de travailler le granit car c’est une pierre dure et durable. Je crois qu’il faut un symbole fort pour relever les coeurs…
– Ce journal appartenait donc à un artiste du burin… Un tailleur de pierres?
– Oui, je crois. Un bâtisseur d’avenir contemporain… J’ai cherché des croquis , mais je n’ai rien trouvé de plus que quelques quadrilatères ornés de gravures florales et symboliques.
….. Je vais baptiser cette oeuvre: « convalescence ».
Cela me semble bien à propos pour une période de pandémie comme celle que nous traversons. Il ne me reste plus qu’à communiquer pour que chacun puisse venir prendre part à l’édification … Ce sera magnifique, tout en restant discret, j’ai hâte, tellement hâte!
– J’ai refermé le journal et j’ai levé les yeux alentours .
Au mur, la une du journal local montrait un petit homme d’une quarantaine d’année posant devant un tas de pavés de granit polis comme des galets et ornés de gravures toutes plus jolies les unes que les autres. Il souriait à pleines dents. L’article expliquait comment chaque optimiste du coin était invité à bâtir la bordure du parc de la mairie du village. « Il s’agirait d’une oeuvre commune et riche de sens. »
Un support simple, aussi bouleversant qu’un carnet à spirales…
– Mais je ne comprends pas. Je n’ai pas vu de bordure, ni d’ailleurs de parc devant la mairie du village?
Non. Réfléchis deux secondes. Tu n’as pas vu non plus la mairie!
Les optimistes de Synkiv ont été pris de cours, d’ailleurs, depuis peu, le mémorial des optimistes a été rebaptisé « résilience ».
Le temps viendra où chaque habitant du village souhaitant croire à un avenir meilleur pourra prendre part à la reconstruction . Alors, il pourra insérer un de ces jolis pavés de granit gravé où il le souhaite, pourvu que… pourvu qu’il soit suffisamment visible et qu’il rappelle à chacun que le noyau dur de la vie, c’est l’espoir.
– Et le tailleur d’espoir… Des nouvelles?
– Toujours rien.. mais j’espère…
ESPOIR ! Oui gardons espoir ! Après la pandémie, votre texte s’adapte aussi et hélas si bien à la guerre en Ukraine.