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“L’argent ne fait pas le bonheur.” Combien de fois l’avait-il entendue, cette maxime ? Cent, deux cents fois ? Davantage peut-être… A soixante-cinq ans pourtant, il lui semblait pouvoir la questionner plus que jamais auparavant. C’est d’ailleurs la première chose qui lui vint à l’esprit. Elle s’imprimait, se reproduisait en se copiant-collant et saturait, en l’envahissant, tout l’espace imaginaire de son cerveau fatigué par l’alcool, la trahison et la peur.
André sentait plus qu’il ne savait que quelque chose de fondamental venait juste de s’écrouler en lui. Le monde avait changé. Tout avait changé. En une fraction de seconde, il avait été investi d’une puissance d’agir sur son propre destin qu’il n’avait connue dans aucune de ces soixante-cinq années. L’heure de la revanche était-elle arrivée ?
Allait-il enfin pouvoir conjurer ce mauvais sort qui l’avait privé de cœur aimant, de maison, de famille et d’enfants depuis quinze ans ? Allait-il enfin sortir du cycle infernal des malheurs qui s’enchaînaient implacablement depuis sept ans ? Se libérerait-il de l’alcool ? De son sempiternel sentiment d’échec ? De dénégation et d’exclusion délibérée ? De fin de vie… désespérée ?
Serait-il à la hauteur ? Pouvait-il l’être ? Un instant, un très court instant il en douta. Il se souvint du petit miroir bleu à un euro qu’il avait cassé dans sa baignoire en se rasant. “C’était la cause de tout, enfin du pire, pensa-t-il dans cet instant. Mais là, regarde-moi, Destin, regarde-moi bien dans les yeux : s’il le faut, j’en casserai cent millions d’autres de petits miroirs bleus pour te dompter !”
Tout avait changé. Rien ne serait plus comme avant. Les dés en étaient jetés. Et c’était lui, Dédé, qui maintenant décidait. Et “l’autre”, qui s’était trompée d’époque, n’aurait qu’à obéir ! “A genoux”, qu’il la mettrait ! “Couchée sous sa volonté”, s’il le fallait ! La Destinée n’avait plus qu’à bien se tenir ! Dédé commençait d’écrire sa nouvelle vie quand quelqu’un frappa à la porte de la salle de bains.
– Entre, dit-il machinalement.
La porte s’ouvrit lentement. Silencieusement. Un homme, jeune, vêtu de sombres couleurs apparut dans son encadrement. Il était blond, de ce blond particulier qui fait rêver les peintres, tant il leur est impossible de le peindre. Il s’avança comme en glissant vers la baignoire et fixa son regard sur le visage un peu cramoisi d’André.
– Tu es ivre, André. Pourtant, tu sais, maintenant, que nous avons tenu parole. Tu as lu le courriel de la Française des jeux, n’est-ce pas ? Tu as tes cent quarante sept millions d’euros. Le temps du Pacte a commencé, André. N’oublie pas la sanction… Mais pour ce soir, rêve encore un peu.
Le jeune homme s’en retourna. Il glissa comme il était entré, mais dans l’autre sens, et la porte se referma, lentement, silencieusement. Était-il réel ? Tout à son ivresse, Dédé le haïssait déjà. André l’aimait, peut-être même… le sublimait. Tout était embrouillé, sauf la réalité : le mail disait : “Félicitations, André ! Vous avez gagné à l’Euromillion. Le montant de votre gain est de 147 millions d’euros.”

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