Devant ce parterre de fleurs, elle se présente à son père. Tant de remous l’ont secouée ces derniers temps. La main de son père dans la sienne, les rôles inversés. Ces purs mots d’enfant pour dire adieu, son cœur de fille pour dire comme elle l’aime et redoute l’après. Elle a tenu sa main jusqu’aux derniers instants, accueilli son chagrin, perçu ses inquiétudes pour ceux qui restent. Elle a observé ce corps s’évaporer chaque jour davantage, devenir gris puis transparent. Elle a senti qu’il partirait, quand elle ne serait plus là, tout près de lui à le retenir. Mais il lui fallait rentrer, retrouver ses frères et sœurs. Continuer à se nourrir, à dormir. Vivre cet essentiel quotidien devenu soudain dérisoire. Quitter à jamais, quitter pour toujours.
S’est présentée ensuite l’urgence d’enterrer, la valse des papiers. Silences, choix, discussions pour tourner en rond. Doutes, conflits et signatures. Stupeur et désespoir. Doit-on laisser les actes notariés écrire une nouvelle histoire ?
Elle ne veut que les souvenirs en couleurs, ceux qu’elle emporte au fond de son cœur. Toute la palette du vrai, de ce qu’elle a vécu, les câlins des derniers matins, les rires et les joies, les devinettes qu’ils aimaient tant, les jeux devant la cheminée. Cette étincelante farandole de petits bonheurs. Tous les moments de complicité, les mots et regards échangés, les bouderies et réconciliations. Les premiers pas, le vélo et les jongleries. Les bisous bruyants. Les retrouvailles du soir, les projets déments, ce brin de folie qu’ils cultivaient tant. L’ivresse qu’ils mimaient, les fous rires assourdissants. Elle ne désire que ces images forteresse face à la détresse, au chagrin et aux doutes. Un tsunami d’assurance et des racines pour la vie.
La tombe est surplombée de fleurs lumineuses, droit devant. Une bougie dressée dessus, ultime souffle de vie. L’air frétille sur ce corps figé, dessous. Son regard dans le vague, l’enfant voyage dans ses pensées : comme on aime, comme on donne, les mots et les gestes, les rêves et l’existence. Tout ne devrait être que simplicité pour célébrer ces mouvements de la vie. Les preuves sont inutiles : des pépites jaillissent en feu d’artifice. Elle saisit une fleur, une marguerite qu’elle effeuille tendrement. Je t’aime, à la folie, passionnément. Chaque pétale virevolte avec le vent, chaque souvenir pleut en couleurs sur cette tombe fleurie. La voilà qui danse et célèbre aujourd’hui cette offrande.
L’Amour vole bien plus haut que les signatures et les mots. La vérité choisie est celle que l’on vit. En déposant cette fleur sur la pierre à ses pieds, elle en fait la promesse. Légère comme l’air, elle s’en va vers la vie.
Votre texte est tout simplement magnifique
Je rejoins @melanie chaine sur cet avis et ne vois aucun mot nécessaire qui puisse commenter ce texte sublime d’amour filial. Bravo.
Votre texte m’évoque beaucoup de choses, magnifique