L’éloge des vampes
249 vues. Le temps est passé trop vite. Assise dans le train, je lève enfin le nez de mon téléphone et regarde cet homme devant. On dirait qu’il se rend invisible et se fond dans le décor, comme s’il se dissociait de ce qui l’entoure. Non par crainte ou fadeur, mais du fait d’une force incroyable, d’un détachement face aux attentes du monde. Je perçois en lui une inébranlable foi. Une sorte de fragilité associée à une indicible puissance, celle de poursuivre son chemin coûte que coûte, quels que soient les obstacles. À moins qu’il s’agisse d’une ouverture au doute ? Cet espace de questionnement qui maintient éveillé ? Cet homme est un passager clandestin dans la tempête. Il semble évoluer comme un poisson dans l’eau au milieu des aléas de la vie, alors que je me noie dans un petit verre d’eau.
Je perçois d’un coup, tel un éclair de lucidité, toute l’absurdité du tourbillon de la vie. À force de prendre des décisions de surface, acculé par l’urgence, on s’écarte de nos profondeurs. À force de ménager la chèvre et le chou, on ne sait plus vraiment qui l’on est. Dans ce monde régi sur le principe du « voir et être vu », l’éloge des vampes déploie ses tentacules. Séduire à tout prix. Suivre les conventions, penser conforme. Adopter la posture. Cultiver les certitudes, performer. Je comprends qu’il me faudra être jusqu’au-boutiste pour résister à cette perverse inversion des valeurs – un tsunami qui mène à la folie. Ce combat salvateur ne fait que commencer. Le sourire aux lèvres et le cœur plus léger, j’oublie mon portable dans le train…