Une immense tristesse m’envahit ce matin : c’est tout un pan de ma vie qu’on tente de me voler, c’est mon enfance qu’on déconstruit, mes espérances qu’on anéantit, mes turbulences et mes joies, mes juvéniles mais vraies souffrances et mes petites peines, mes magiques croyances, mes espiègleries, mes larcins innocents et mes folles provocations des aînés, des forts, des parents, des maîtres, des dépositaires de l’autorité, du savoir et des devoirs, enfin c’est toutes ces choses qui dans nos frêles existences se nichent dans l’inconscient, se cachent dans les placards, se fondent dans les murs et les parquets bien cirés, ouvrent en grand les fenêtres sans jamais les passer, habitent chaque pièce, chaque chambre, chaque recoin et surtout, et surtout les longs couloirs de service qui les relient, les organisent, leur donnent sens un peu comme la rivière fait la ville, les canaux son animation, les portes sa fragilité et sa promiscuité ; un peu comme les vaisseaux irriguent le corps, l’être, le vivant, et du sang si précieux qu’on ne saurait lui donner prix, recréent à chaque seconde la continuité sans fin de la vie ; car oui, en détruisant cette dernière barre des “408”, c’est bien la vie qu’on veut détruire, effacer, réécrire peut-être, mais gommer un paysage, raturer les souvenirs et nier la puissance vitale de la réminiscence créatrice n’y fera rien ! pas même une égratignure ! pas même un début d’amnésie qui pourrait ternir, amoindrir ou seulement réduire la vivacité première de cette prime jeunesse qui exulte en moi comme il y a longtemps, comme il y a cent ans ou même cent-mille ans ; le réel de la cité n’en est pas entamé ; la colline la jouxtant sera toujours là, avec sa grotte mystérieuse où nous faisions nos bêtises, nos sottises, nos premières expériences amoureuses ; ces baisers maladroits, ces caresses trop timides et les fous rires enfantins qu’elles faisaient résonner sur les sombres parois, et l’âcre odeur de la terre mouillée, et la rigueur de la pierre qu’aucune mousse ne pouvait masquer, et la froideur du vent qui méchamment giflait nos visages d’enfants, qui d’autre que Dieu lui-même – et sinon lui, pour le vil incroyant que je suis, philosophe mécréant qui vénère Lilith, scientifique arrogant qui la lumière délite, pour moi qui me noie dans la sombre obscurité de la raison, de la passion, de l’explosion des sens, la damnation divine ! –, qui d’autre pourrait bien me priver de cette immense tranche de vie, cette source inépuisable d’émotions, de repères, de mémoires…, qui !?
Tous les bulldozers de la Terre pourraient bien se liguer, rien ni personne, jamais, n’atteindra Ma Cité !
Une phrase incroyable où tous les sentiments se mêlent. Heureusement, quelques “;” permettent de reprendre son souffle et de ressentir l’émotion. J’aime beaucoup.
Bravo pour l’expression de cette tranche de vie de la Cité des 408, déroulée de belle manière. Cette longue phrase et l’histoire qu’elle véhicule me fait penser à un torrent avec ses rapides et ses recoins plus calmes. Je me suis un petit peu perdue dans votre finale, sans doute parce ce que l’introduction de la question “qui d’autre que…” est pour moi le début d’une nouvelle phrase autonome.
En ce qui concerne la ponctuation :
– OK pour les points-virgules qui provoquent une courte pause sans réellement dissocier les phrases ainsi juxtaposées.
– j’ai tiqué sur les points d’exclamation et finalement je crois qu’ils ont bien leur place en tant “qu’exclamation” et non en tant que “point”. Il donnent du rythme et du relief au texte et cela est difficile dans cet exercice à la Proust !
Ce commentaire n’émane pas d’un membre de l’Académie Française 😉 Il y a sûrement d’autres points de vue algomusien.
Un texte plein d’émotions fortes, qui se déclamerait presque comme un slam.