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Voici venu le moment de parler de mon crime. 

Nous étions bébés quand nous nous sommes découvertes. Tu étais souriante, pétillante, bruyante. J’étais silencieuse, curieuse, minutieuse. Les faces opposées d’une même pièce. 

Au départ, nous ne nous aimions pas. Ta voix emplissait toutes les conversations, tu te croyais seule au monde. Ton arrogance m’agaçait. Mon désir de solitude et les histoires que j’inventais te déplaisaient, te faisaient honte. 

Puis le temps passa et nous grandîmes. Nos caractères s’affirmèrent ainsi que notre animosité réciproque. Nous étions encore des enfants, et nous ne savions pas que ce que nous ressentions était en réalité de l’envie. 

Tu m’enviais de m’accepter telle que j’étais, de ne pas souffrir de la solitude et d’ignorer les moqueries. 

Je t’enviais d’avoir l’attention de tous, que tout le monde connaisse ton nom et que tu puisses rire à en pleurer. 

Pourtant, nous ne nous sommes jamais disputées. Nous faisions toujours en sorte de nous ignorer, de prétendre que l’autre n’existait pas. 

Puis un jour, nous nous sommes retrouvées toutes les deux, seulement nous. Je me souviens de notre répugnance à simplement nous tenir si près. Nous refusions même de reconnaître la présence de l’autre. Mais, évidemment, certainement parce que tu ne pouvais t’empêcher de briser ce silence que tu détestais tant, tu as engagé la conversation. 

Je ne me rappelle pas ce que nous nous sommes dit, ni même quand nous nous sommes arrêtées. Je me souviens avoir parlé pendant que tu écoutais, de ta voix qui partait dans les aigus lorsque tes mots s’enchaînaient rapidement. Je me souviens que nous avons ri. 

Depuis ce jour, nous ne nous sommes plus quittées. Nous avons oublié notre rancœur. 

Ensemble, nous nous moquions des autres, ceux trop sérieux, ceux qui ne l’étaient pas assez. Nous nous moquions surtout des adultes, de leur visage grave et de leurs discussions interminables. 

Nous nous sommes alors fait une promesse : ensemble, nous ne devions jamais grandir. 

Bien sûr, les années ont passé. Les études ont remplacé l’école. Les colocataires ont remplacé les parents. Des centaines de kilomètres ont remplacé les quelques mètres que nous faisions pour aller en classe. 

Les discussions quotidiennes, elles aussi, ont disparu. Elles ont tout d’abord été détrônées par les appels hebdomadaires puis par les messages mensuels. 

Aujourd’hui, nous ne sommes plus qu’un souvenir dans l’esprit de l’autre. Un souvenir douloureux, empli de culpabilité, auquel on évite de penser. 

Hier on me demandait de sourire pour les photos, de me laver les mains avant d’aller manger, de ne pas rentrer trop tard. Je pouvais rire toute la nuit, inventer milles histoires, dormir jusque tard. 

Aujourd’hui on me demande mes impôts, une déclaration sur l’honneur, mes trois dernières fiches de salaire. Je dois prendre mes responsabilités, un jour de congé pour aller en mairie, rendez-vous chez le médecin cinq mois en avance. 

Le voilà, mon crime. Pire que de ne plus te parler, pire que t’avoir oublié : j’ai brisé ma promesse. Je suis devenue adulte. 

Certains diront que nous étions des amies, les meilleures qui puissent exister. D’autres penseront que nous étions des amantes discrètes. Mais nous n’étions rien de tout cela. 

Nous étions, et nous sommes, une seule et même personne. Deux faces opposées d’une même pièce. Ainsi, pire que d’avoir brisé une promesse faites à une amie, c’est moi-même que j’ai trahi. 

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