Je viens de prendre conscience que nous vivons dans un monde où les années défilent, où les chiffres défilent, mais où tout ce décompte ne rime en vérité pas à grand-chose. Nous pourrions être en 1314 ou en 1914. Que se passerait-il alors ? Je n’aime pas beaucoup cet alignement de chiffres. Je les trouve trop masculins, trop froids, trop impersonnels.

Cela me fait dire que j’ai peut-être une difficulté avec le côté masculin des choses. La féminité n’est-elle pas plus douce que la masculinité ? Est-ce vrai ?

En 1314, si c’était maintenant, je serai peut-être déjà morte. Peut-être l’espérance de vie est-elle plus longue maintenant ? Et en 1914, aucune idée. Les humains vivraient sûrement en paix après plusieurs siècles de réflexion. Ils arrêteraient de se chamailler, sans doute. Nous sommes le 7 novembre 1514 ; 14 heures. J’ai 39 ans. Je suis en vie. J’ai trois enfants, dont un qui est mort de maladie. J’ai un mari qui fait de son mieux chaque jour de Dieu. J’ai un dieu à respecter et à glorifier. Mais ce dieu, je ne sais pas à quoi il correspond. Comme les dates. C’est le dieu des chrétiens. Y a-t-il d’autres dieux à travers le monde ? Je n’en sais rien.

J’habite dans un petit village de France, quelque part dans le Sud, me dit-on. J’ai la peau tannée, à force d’aller dans les champs, et le ventre flétri, à force de tout-trop-tristement. J’ai les cheveux blancs et l’humeur assoupie.

Mais, au moins, bien cachée, non dite, une étincelle. Une étincelle qui me fera vivre plusieurs vies après celle-ci. Une étincelle qui me laisse entrevoir que les siècles à venir seront plus lumineux. Ce fameux 1914, j’aimerais y vivre. Je suis sûre que les hommes s’y aimeront mieux. Je suis sûre que tout sera différent. L’amour sera beaucoup plus glorifié que Dieu. Et, en fin de compte, cela revient sans doute au même. Mais aujourd’hui, il ne faut pas le dire.

Ce que j’écris là, je l’écris dans le ciel et non sur un parchemin, et ce pour plusieurs raisons. Je n’ai ni les moyens d’avoir un parchemin ni d’apprendre à écrire. J’ai cependant la possibilité de réfléchir et d’envoyer mes pensées dans l’univers. C’est sans doute le plus important. Écrire sur le ciel est la plus belle des promesses. J’ai besoin de promesses. J’ai besoin de faire des promesses. L’Humanité a besoin de promesse tenues.

1914, où es-tu ? Seras-tu une belle année, moins sévère que tes chiffres ? Seras-tu aussi ronde que 2028 par exemple ? En 2028, parle-moi…

J’habite une maison en granite, au bord d’une rivière. Il fait humide en hiver et frais en été. Un jour, il y a presque 15 ans, j’ai croisé un gros crapaud en me baignant dans la rivière. Je l’ai embrassé. C’est peut-être grâce à cela que j’ai un mari maintenant. Il est gentil. Il est doux, parfois de mauvaise humeur. Comme moi.

J’aimerais passer rapidement en 1515.

15 15, c’est peut-être de bon augure.

Aujourd’hui, mille et une gouttes de pluie qui tombent dans la rivière et rejoignent la mer, l’éternité et Dieu, fondateur de toute chose… Amen et bonjour à vous, Humains des temps mêlés…

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