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Il portait ses souvenirs comme on trimbale un baluchon. Où qu’il arriva, il lui fallait le déballer. Peu à peu…
il se débarassait des plus lourds, certains avaient longtemps été secrets, ils pesaient sur sa conscience. La peur d’être jugé mais aussi celle de revivre inlassablement les scènes d’horreur dont il avait été l’acteur malgré lui, le tétanisait.
Elle l’empêchait de parler, de dire l’indiscible. Il redoutait la venue de la nuit qui le rapprochait de cauchemars répétés. Le sang des victimes l’aveuglait, un étau lui serrait la gorge comme la main qui l’avait saisi un jour, l’obligeant à suivre, ce groupe armé .
Hommes d’un certain âge au regard dur, rien à voir avec celui si doux de son père, hommes au regard acéré de l’âge de son frére aîné disparu, jeunes hommes aussi au regard éteint qui témoignait de leur enfance perdue.
Il se rappelait d’abord sa capture, l’exigence du chef. Les exercices d’apprentissage d’un art barbare s’exercait sur n’importe quel animal se trouvant sur leur passage. Un chien errant, un chat à moitié aveugle, un bonobo pris au piège. Bref, tout animal vivant y passait et était censé améliorer ses compétences dans l’art de tuer.
Au début, il avait tenté de résister mais les menaces et tortures le dissuadèrent. Il avait été malade comme un chien quand il avait dû décapiter le bonobo… Il avait vomi ses tripes de multiples fois sous les rires gras des miliciens et sous leurs quolibets… Ils le traitaient de” Gonzesse”, de “fiotte” de “chochotte”….Il se rappelait alors les douces caresses de sa mère… seul baume sur ses souffrances du jour, seul baume qui lui rappelait sa condition d’homme.
Puis dans un brouillard épais, il s’était exécuté, il avait tué bien trop de femmes, de filles, de maris, d’enfants.
Le soir, harassé, il s’endormait. Ses nuits étaient vides: pas de rêve, pas de cauchemar, non, seulement un puits sans fond dans lequel il s’enfonçait dans l’oubli.
Cette folie prit fin, il ne sut jamais vraiment comment. Une intervention militaire avait décimé la milice et il avait retrouvé sa liberté d’agir. Pris en charge par une ONG, mutique d’abord, il avait peu à peu pleuré sans trop parler. Il avait de temps en temps esquissé un sourire. On lui avait laissé le temps… Il avait aussi dessiné… puis pleurer encore…Ses larmes lui faisaient du bien… Elles glissaient sur ses joues comme des caresses…Il avait retrouvé son humanité.
Depuis quelques temps, il parcourt son pays, il témoigne, met en garde les jeunes .
Il tente de se réparer, il tente d’oublier tout en exhumant jour après jour ses souvenirs les plus odieux. Il lui faudra du temps, de la patience, de l’indulgence, de la bienveillance.
Il faudra qu’il se pardonne d’avoir été un enfant-soldat.

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