Mourir est un art que l’on ne peut pratiquer qu’une fois. Marie avait compris, très tôt, que pour y exceller, il suffisait de s’y préparer. C’est ainsi que, tout sa vie, elle avait attendu son instant fatidique avec application, méthode et minutie.
Sa première expérience avec la mort datait de ses huit ans. Une petite grive musicienne était tombée du nid. Le bel oisillon était prostré, incapable de bouger, et criait sans arrêt. Comme il ne pouvait s’alimenter seul, Marie l’avait nourri de farine et de lait. Une pâte un peu épaisse et inappropriée qui se solidifia et combla d’une coque infâme les narines du poussin qui mourut dans l’heure.
Le pauvre était parti sans doute dans d’atroces souffrances et, la petite fille en déduisait que s’il était bon de mourir le ventre plein, être rassasié ne rendait pas la mort plus esthétique.
L’acte d’avoir précipité la mort de ce poussin n’avait été cependant pas totalement inutile. En volant sa vie accidentellement à l’oiseau, Marie lui avait ôté toute possibilité de mourir avec brio. Elle prit alors conscience des aléas.
L’art de bien mourir ne résidait pas dans la mort. L’art de bien mourir se logeait dans la vie de cette mort. Marie fit une jolie boite, une éloge funèbre au bel oiseau parti trop tôt en magnifiant son chant et en imaginant quelle fut sa courte histoire de la sortie de l’oeuf jusqu’au « tombé du nid ».
Ce jour là , elle pressentait déjà que son oeuvre d’art personnelle serait de donner de la valeur à sa Vie afin de donner du sens à sa mort.
Elle avait 17 ans , quelques cours de philosophie en tête et une furieuse envie de vivre sa vie pleinement et élégamment, quand la mort la faucha.
Son éloge funèbre allait se résumer à un article mal rédigé dans le journal… Marie avait finalement, comme la petite grive musicienne était confrontée à une mort inappropriée, un aléa, sur un passage « protégé » mal protégé.
La courte vie de Marie est une oeuvre d’art non signée. La jeune fille n’a pas eu le temps pour cela.. à moins que, ce ne soit cela justement mourir: accepter de ne pas pouvoir signer son oeuvre et la transmettre en l’état…
Bien amené : J’aime beaucoup votre conclusion.
Un mot s’est envolé … “une pâte un épaisse”
J’ai beaucoup aimé. Les mots me manquent tant ils sont le reflets de souvenirs …. Merci