ELLE
Elle s’était décidée à partir, pas loin, mais juste assez loin pour se prouver qu’elle en était capable. Se prouver qu’elle pouvait le faire, toute seule, malgré ce que lui disait sa famille, ses amis, les « Tu verras, maintenant que Raymond n’est plus là, tu vas rester à la maison. Regarde-moi je ne bouge presque plus, ce n’est pas pareil seule ». Elle en avait eu assez de ses ritournelles tristes qui la condamnaient à vieillir avant l’âge.
Un matin elle avait téléphoné à son amie Suzanne, toutes les deux avaient travaillé dans le même atelier, et elle était venue à l’enterrement de Raymond. Elle lui avait dit « viens quand tu veux, à part pendant les vacances scolaires, j’ai de la place ». Son amie ayant dit oui une date fut fixée, elles étaient contentes de se revoir. Alors elle avait été à la gare, au guichet elle avait pris un Lyon-Toulon direct, le matin, pour ne pas avoir trop chaud, et puis Raymond il aimait voyager le matin.
En revenant, chez elle, elle avait tenu son sac comme s’il y avait un trésor dedans. Elle avait rappelé Suzanne pour lui dire le jour et l’heure. Son amie avait déjà plein de projet en tête, et l’attendait avec impatience.
Quelques jours avant le départ, elle avait préparé sa valise, elle c’était même acheté un maillot de bain. Elle en emportait trop de tenues, des légères, des plus chaudes, mais elle ne savait plus bien faire. Elle avait aussi acheté des « Coussins de Lyon », Suzanne les aimaient bien, à Noël elle s’en achetait toujours en disant « c’est mon petit cadeau », et elle les dégustait avec un bonheur infini et gourmand.
Enfin la veille, elle avait organisé son sac à main, vérifié au moins dix fois son billet de train, et l’horaire des trams.
Finalement elle avait peu dormi, à la fois inquiète et excitée elle était partie deux heures en avance. Dans le tram, durant le trajet, elle avait vérifié encore et encore si le billet était bien là, l’horaire du train. Arrivée à la gare, elle avait une heure d’avance, elle alla s’acheter un journal et pris un café, se demandant si elle avait bien fait de partir seule. Après elle s’était assise en face du panneau d’affichage, sa valise serrée contre elle, son sac sur les genoux. Elle bondit lorsque son train fut annoncé. Elle composta son billet et le rangea, trouva le quai, le train, la voiture et sa place près de la fenêtre.
Quelques heures plus tard elle arrivait, Suzanne l’attendait. Elle avait réussi à faire un pas de plus sans Raymond, enfin pas sûr, il devait la regarder de là-haut et être fier d’elle.
LUI
J’ai été acheté ce matin au guichet d’une petite gare de la banlieue lyonnaise. C’est une petite grand-mère, pas rassurée du tout. J’ai tout de suite senti qu’elle avait déjà fait un effort en venant m’acheter, elle n’était pas sûre d’elle, avait presque peur. Alors je me suis bien installé dans ma pochette, la date et l’heure bien en vue. J’ai fait ce que je pouvais pour la rassurer, mais elle va finir par m’user à force de me regarder.
Je l’ai entendu faire sa liste pour ne rien oublier, les achats déposés sur la table, la valise sortie, trop remplie. Puis ce fut le tour du sac à mains, comme d’habitude j’ai eu droit aux bonbons à la menthe, les gens en voyage prennent tous des bonbons à la menthe !
Elle a tout vérifié, et nous sommes partis tôt, trop tôt, mais cela était rassurant. Arrivée à la gare, elle a tourné un moment, puis c’est assise devant les panneaux d’affichage, je me suis redressé encore une fois, enfin quatre ou cinq fois. Je dois dire que je commençais à fatiguer de me tenir bien haut pour qu’elle trouve les indications importantes. Puis elle m’a enfin composté, et nous sommes partis sur le quai. Elle m’a rangé dans une poche pour me retrouver facilement en cas de contrôle. Le trajet c’est bien déroulé, à l’arrivée j’ai entendu une dame qui semblait heureuse de la retrouver.
Au retour ça devrait être plus calme, j’espère ! Je parie qu’elle va me garder !
Cela fait deux ans maintenant que je suis dans le tiroir du buffet de la salle à manger, elle me garde précieusement. Ce n’est pas pour moi bien sûr, c’est juste à cause du premier pas qu’elle a fait seule. Je ne suis qu’un bout de papier insignifiant, mais j’ai juste ouvert une porte qu’elle avait fermée un temps !
J’aime beaucoup. C’est écrit tout en finesse, en pudeur, en sensibilité.
Même commentaire que pour la cravate, je ne suis pas très satisfaite de mes écrits en ce moment, snifff
Je trouve que vous vous dévalorisez et c’est dommage. Personnellement, je ne parviens guère à écrire en ce moment et c’est frustrant alors je me réconforte et m’evade en lisant les textes des autres, dont les vôtres.
Merci beaucoup, il est vrai que la période est un peu difficile, les travaux à la maison font beaucoup de bruits donc ma disponibilité à l’écriture est un ^peu moindre. J’en profite également pour lire les textes des autres, et je suis toujours aussi admirative !