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C’était le premier mai, vers onze heures, au Grand Café du boulevard. J’avais été invité par Dupont, le délégué syndical. Tout avait commencé par une dispute entre deux clients qui menaçaient d’en découdre au sujet d’une camarade un peu trop aguichante, selon le premier, et simplement libérée selon l’autre. Heureusement, la camarade était absente…
Dupont s’énervait de ces enfantillages : “Rendez-vous compte Guillaume, voyez où ils en sont ! Notre révolution tient à quelques jarretelles décidément. Nous n’en sortirons jamais… Nous sommes entourés d’ânes !”. Les deux autres compères, l’ayant entendu, s’approchaient de notre table, déjà menaçants, quand le patron du bistroquet se mit à faire le baryton. C’était codé. C’était le signe qu’il donnait quand il s’agissait de calmer les passions. Tout le monde comprit.
Quoiqu’il en soit, le syndicaliste avait beau jeu de critiquer ainsi la populace. Issu lui-même de la haute, il ne pouvait se défendre de l’expression d’un mépris à peine dissimulé à l’égard des ouvriers. Oh, certes, ouvrier, il l’était lui-même ; mais lui-même l’avait choisi, ce qui bien entendu portait à d’autres ressentis. Vivre la misère n’est pas la choisir, mais la subir. Théoriser l’oppression, c’est la dépeindre, tout au plus, pour les plus talentueux : la peindre. Mais en être victime procède d’un art bien différent : celui d’être mal né !
C’était la divergence la plus profonde que nous avions, lui et moi. Je me souviens qu’il nous était difficile de l’éviter. Ses habits, sa cote bleue elle-même me semblait trop bleue, trop bien repassée pour être en quelque sorte “authentique”. La denture, la coiffure, la posture “Duponnienne” – c’est ainsi que je qualifiais tout ce qui touchait à ce camarade que j’estimais pourtant – ne témoignaient jamais que du contraire d’une appartenance légitime au prolétariat.

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