3.

 

 

 

 

La destinée doit parfois se mélanger les pédales. Ou peut-être estime-t-elle avoir le droit de s’amuser un peu, elle aussi. En tout cas, à propos de cette femme qui méprisait tout autant les autres enfants que son propre fils, elle décida qu’elle deviendrait institutrice.

C’est ainsi que la rentrée suivante, ils atterrirent dans un logement de fonction au-dessus d’une école maternelle. La grande cour vide, avec ses tilleuls protecteurs, offrait un terrain de divertissement merveilleux à Henri. Cependant, quand l’année débuta, les genoux écorchés par des jeux maladroits, les jeunes élèves l’écartèrent par des brutalités ou par crainte que le fils de la maitresse dénonce leurs facéties.

 

Ce déménagement semblait satisfaire Renée, car depuis plusieurs jours, Henri avait découvert que sa mère savait sourire. Elle virevoltait dans l’appartement, toujours à l’affût du moindre grain de poussière, mais elle chantonnait des airs célèbres en s’affairant.

Elle se montrait élégante, même quand elle ne sortait pas. Elle riait bêtement lorsqu’elle répondait au téléphone qui sonnait sans cesse.

L’explication se présenta un soir à la porte sous la forme d’un homme que sa mère appelait Philippe. Il était grand, très digne, avec une voix et des gestes doux.

À la seconde où il le rencontra, Henri l’adora.

Il eut même le privilège de dîner avec eux. Henri vit que les yeux de Philippe, d’un beau bleu brillant rassurant, ne quittaient pas Renée. Il ne bougeait pas, parlait peu. Il se contentait de l’admirer qui allait et venait.

Sa mère baissait la tête, son regard pétillait. Elle ne marchait plus, elle glissait sans toucher terre. Ces deux-là tentaient de cacher leur intense désir.

Aux vacances suivantes, Renée saisit la main de Henri sans lui broyer. Ils se trouvèrent au bord d’un quai de la gare Saint-Lazare pour atteindre un beau wagon bleu. Les deux heures de voyage furent un enchantement pour Henri. L’enfant ne décolla pas le nez de la vitre du compartiment, hypnotisé par les paysages qui défilaient.

Lorsque le train s’arrêta, un Philippe souriant se tenait au pied de la passerelle. Il s’empara des bagages de Renée, et les mena à une superbe voiture. Sur le chemin, la nature occupait tout l’espace, ponctuée de jolis colombages et de toits de chaume. Partout, des chevaux levaient la tête de l’herbe grasse pour les regarder passer. Le soleil était de la partie. C’est à cet instant que Henri comprit à quoi devait ressembler le paradis.

La Jaguar remonta une allée encadrée de rosiers odorants et stoppa devant une immense longère. Sur la droite, on pouvait voir une rangée de portes qui devaient loger des chevaux. Plus en retrait, une demeure plus petite se lovait dans un champ de pommiers.

Philippe ouvrit enfin la bouche pour annoncer :

 — Voilà ! c’est ma maison de campagne. C’est une ancienne ferme que j’ai fait retaper. Peut-être pourra-t-elle me servir de refuge à mes vieux jours. Elle pourrait accueillir une grande famille, souffla-t-il en fixant Renée. Venez, je vais vous présenter ma fille.

 

Elle s’appelait Virginie.

Dans le soleil printanier de l’Eure, elle arborait un visage de fée dans une robe sage. Accroupie dans l’herbe, elle remuait la terre avec un bâton. Ils s’approchèrent, la stoppant dans une entreprise qui consistait à détruire une fourmilière pour analyser ensuite la réaction des insectes désemparés.

Elle sourit, ravie de recevoir ce cadeau en culotte courte. Ce copain tout neuf symbolisait une victime qui lui permettrait d’assouvir ses caprices et de tester de nouveaux sévices.

Son père lui suggéra de faire visiter la propriété à Henri. Tout de suite, sans lui demander son avis, elle l’entraîna à travers des champs de coquelicots. Elle sautait comme un cabri à travers les herbes folles. Elle paraissait fraîche, elle courait partout, désireuse que son invité partage sa passion pour ces étendues pastorales.

Il enregistrait le plus d’informations possible. Toutefois cette bouche garnie de charmantes dents du bonheur égalait le débit d’une cascade de montagne au printemps. C’était sa première amie ; il voulait faire en sorte que la fille l’apprécie.

L’admiration pour ce drôle d’animal guilleret lui vint petit à petit, à mesure qu’il essayait de la rattraper au travers des hautes herbes. Elle sautait au-dessus de troncs couchés dans les prés ou se laissait rouler dans les pentes en poussant des cris joyeux.

Ce bout de nature était son domaine, alors que la maladresse de Henri dévoilait son côté citadin. Il chutait sans cesse, fasciné par cette excitée, au point qu’il en oubliait de regarder où il mettait les pieds. Sa gaucherie amusait follement la belle.

 

Ils se trouvèrent bientôt devant une prairie dans laquelle broutaient des chevaux et des poneys.

— Tu vois, le poney blond ? C’est Princesse, ma ponette. Papa me l’a offerte pour mon dernier anniversaire.

 

Sitôt dit, elle roula sous la clôture, prenant bien soin de ne pas le prévenir du danger. Lorsqu’il s’engagea sous la barrière à son tour, il toucha le fil qui courait sur les poteaux. Henri eut l’impression qu’un ennemi invisible lui donnait un énorme coup de pied dans le derrière. Il se jeta en avant pour s’éloigner de cet agresseur, et l’entendit éclater d’un rire cristallin.

— Tu es bête, de l’électricité passe dans les enclos pour que les chevaux ne s’échappent pas. Tu devrais le savoir.

— C’est surtout gentil de ne pas m’avoir averti, lui répliqua Henri, se redressant rapidement pour essayer de retrouver un semblant de prestance.

 

Elle s’amusait comme une folle, enchantée de compter déjà une victoire sur ce garçon emprunté. Elle lui présenta les autres poneys, de son avis les plus beaux du monde. Elle déplora que Henri ne possède pas d’équipement afin de l’accompagner le lendemain pour une promenade. Henri commençait à saisir le fonctionnement de sa princesse. Il était assez satisfait d’échapper à une épreuve perdue d’avance. Néanmoins, il lui confirma que les regrets étaient réciproques.

 

En remontant vers la maison, ils se trouvèrent sur les rives d’une grande pièce d’eau. Des nénuphars et de la mousse verdâtre flottaient par endroit.

— Tu vois, ça, c’est l’étang. Il paraît un peu sale, à cause des plantes. En fait, ce sont elles qui filtrent les impuretés. Moi, je m’y baigne sans arrêt. D’ailleurs, notre promenade m’a donnée chaud. Tu devrais essayer, l’eau est tiède en cette saison.

Toujours aussi rapide, elle avait passé sa robe au-dessus de sa tête et se tenait en culotte devant lui.

Il cherchait encore à inventer une excuse pour refuser l’invitation qu’elle était déjà dans l’onde jusqu’à la taille. La fraîcheur de l’eau lui tirait de petits cris joyeux.

Il ne voulait pas avouer qu’il ne savait pas nager. De fait, l’eau lui faisait peur. Virginie fit un aller-retour, ne serait-ce que pour lui montrer qu’elle maitrisait le sujet. Elle s’accroupit sur la berge, telle une naïade. Elle basculait la tête en arrière pour secouer ses cheveux afin d’ôter le plus gros de l’eau.

Henri, installé dans l’herbe, assistait au spectacle. Sa bouche ouverte terminait de lui donner l’air idiot.

— Ben, bouge-toi ! Ne reste pas planté comme une andouille. On se baigne. Après, on va goûter.

 

#

 

   Les adultes s’étaient installés sous un parasol pour roucouler tout en buvant du thé. Ils aperçurent Henri qui venait vers eux en titubant. Il était couvert de boue des pieds à la tête, l’air hagard et en pleurs.

— Où est Virginie ? interrogèrent les parents.

— Sais pas… Elle a demandé que je la suive jusqu’à l’étang et a voulu se baigner. Comme je ne l’ai pas vue revenir, j’ai couru, répondit-il en hoquetant sans parvenir à se contrôler.

 

Philippe renversa sa chaise et se rua vers l’endroit. Il entra dans la vase pour récupérer Virginie qui flottait entre deux eaux, puis la déposa sur le bord. Doucement, il s’agenouilla pour tenter de lui pratiquer du bouche-à-bouche.

 

En frôlant son visage, les yeux de Virginie le regardèrent sans le discerner. Ses lèvres remuaient, il approcha l’oreille. Dans un souffle, elle répétait :

— Henri… Henri… s’il te plaît… aide-moi…

 

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