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4.

 

 

 

 

 

Renée se souleva de son siège et serra la main du proviseur. Assis en retrait, Henri, les paumes sous les cuisses, balançait les jambes afin de faire grincer la chaise, étranger à l’entretien des deux grandes personnes. Sa mère lui demanda de se lever, d’arrêter de s’agiter et de ramasser ses affaires. Au bout de son bras pendait son cartable. Elle lui tendit la valise qu’elle s’était indignée de porter tout au long du voyage. Elle lui dit sèchement :

— Voilà. Je te conseille de te tenir tranquille. J’ai exigé de monsieur le principal qu’il ne tolère aucun écart de ta part. Nous nous reverrons aux grandes vacances, au revoir !

Elle le contempla avec mépris avant de tourner les talons et de traverser la cour.

Le responsable la raccompagna jusqu’à la grille qu’elle franchit sans un regard derrière elle. Il ne lui adressa pas de signe non plus, les mains encombrées par ses bagages.

Henri observa les portes de sa prison qui se fermaient dans des plaintes métalliques. Il hésitait encore sur le comportement à adopter. Devait-il pleurer ou se réjouir ?

Il se retrouvait enfermé dans ce pensionnat pour des mois. D’un autre côté, il s’évitait de subir les crises de son dragon maternel.

Sa mère voulait lui faire payer très cher la perte de Philippe. Elle avait perçu dans cette relation l’opportunité de s’élever socialement. Bien sûr, elle se serait vue contrainte de lui pondre un enfant. Passé cette corvée, une vie tranquille se serait offerte à elle.

La disparition de sa fille avait détruit l’homme. Elle avait bien essayé de lui prouver son soutien, mais tout espoir de conclure s’était envolé pour Renée.

 

Elle décréta donc que son travail l’accaparait trop. Elle ne disposait plus d’assez de temps à lui consacrer. Elle avait déniché cet établissement, conseillée par des collègues aussi rigides qu’elle.

Un pion (c’est ainsi que l’on nommait les surveillants) le guida jusqu’aux chambres.

 

Gigantesque, les adjectifs étaient faibles, ce collège paraissait monumental. Il pouvait héberger jusqu’à deux mille internes, répartis par âges dans différents bâtiments qui s’organisaient autour de cours encadrées de hauts murs infranchissables.

Il ne manquait que quelques miradors pour achever le décor. Une petite ville se nichait dans la ville…

Les dortoirs étaient immenses. Un seul pouvait recevoir quatre-vingts pensionnaires, alignés sur des lits superposés. Il se laissa tomber sur sa couche, toute sa fatigue lui dégringolait dessus, lui écrasait la poitrine, les reins, les épaules. Henri, abandonné de tous, sur le matelas glacé d’une chambrée de gamins perdus était pourtant satisfait.

Le sommier était affaissé dans le milieu, il produisait un horrible grincement quand on s’y enfonce. Lorsqu’on est au fond, il est difficile d’en sortir. Chaque matin, pour se lever, Henri doit jeter les jambes de côté, se cramponner des deux mains aux montants du lit pour opérer un rétablissement sur le ventre et glisser par terre. Les premières nuits lui ont été presque aussi pénibles que les journées. Souvent, les couches laissaient échapper des pleurs. Henri ne se rappelait pas d’avoir sangloté. Il n’avait jamais qu’effleuré le bonheur, des regrets seraient indécents.

Un soir d’octobre, malgré le froid, il était assis sur les marches de la salle d’étude pour fuir le chahut et pouvoir lire au calme.

Elle s’approcha. La demoiselle se planta à ses côtés sans lui demander son accord. Elle était mignonne. Elle était très jeune, elle arborait la beauté juvénile de toutes les gamines de son âge. Peut-être deviendrait-elle moche et grosse dans quelques années. Pour le moment, la nature posait ses bases en attendant de décider de sa métamorphose.

D’immenses yeux verts éclairaient des boucles châtain clair sur un corps menu aux proportions plaisantes.

Henri la connaissait pour lui avoir souvent tenu compagnie en étude, les week-ends. Elle s’appelait Cécile. Elle avait beau être un peu plus âgée que lui, elle paraissait timide. Se penchant vers Henri, elle murmura à son intention :

— J’ai remarqué que toi aussi, tu ne rentrais jamais chez tes parents. Moi, c’est pareil. C’est parce que les miens sont morts. Mon oncle ne veut pas m’avoir sur les bras. Toi, c’est quoi la raison ?

Henri baissa son livre pour la regarder dans les yeux. À l’évidence, cette fille souffrait de solitude et cherchait à se faire des amis. Sa requête était à peu près l’extrême opposé de ses désirs. En découvrant son sourire triste, il renonça à lui reprocher de troubler sa lecture.

— Moi, ma mère m’en veut de lui avoir fait perdre un de ses amoureux, répondit-il.

— Ce n’est pas bien grave. Elle finira par oublier. Le temps réparera cette discorde.

— Moi, je ne lui pardonnerai pas de m’avoir abandonné.

Elle se rapprocha de lui, posa sa tête sur son épaule en lui tenant la main. En frôlant son oreille de ses lèvres, elle souffla :

— Ne t’en fais pas, tu n’es pas seul.

 

Les semaines suivantes, les petits rires étouffés de Cécile accompagnaient les âneries organisées par Henri au cours des heures de retenues. Cela contribuait à sa joie et mettait du soleil dans ses journées. Le simple plaisir de rencontrer Cécile, du moins lorsqu’elle était seule, le rendait heureux.

En compagnie de ses copines, elle ne daignait pas toujours lui accorder un sourire. De plus, les garçons des classes supérieures gravitaient autour d’elle. Elle les admirait, bouche bée, les yeux brillants. Il l’entendait rire bruyamment de leurs plaisanteries. Ces comportements l’agaçaient.

Cela tourna à l’obsession, Henri devait lui prouver son amour. Il mit à profit les longues heures des week-ends solitaires pour édifier un plan machiavélique. Il voulait se retrouver seul avec elle. Depuis qu’il était près, il comptait les jours qui le séparaient de l’échéance.

 

Les congés de fin d’année arrivèrent. Les pensionnaires bloqués en retenues se raréfièrent. Le laxisme de l’encadrement le décida à entrer en action.

 

Ce dimanche soir, il pouvait se promener à sa guise dans les couloirs, le bâtiment semblait désert. Après s’être perdu à plusieurs reprises et au prix d’énormes craintes de se faire surprendre, il parvint à se glisser dans un dortoir qu’il supposait être celui de Cécile. Son cœur battait à tout rompre.

Il la vit au loin étendue sur un lit, elle somnolait.

Le parquet grinça lorsqu’il s’approcha. Cécile se réveilla. C’était bien elle. Ses grands yeux embrumés reflétèrent d’abord de l’étonnement puis, très rapidement, elle sourit.

— Eh bien, toi, tu ne manques pas de culot !

 

Derrière la cloison, ils entendaient la surveillante respirer doucement dans son sommeil. Ils épiaient le souffle du cerbère. Cécile avait peur. Henri était le premier garçon qui osait forcer son intimité. Elle se mit à pleurer en silence.

Elle n’avait que onze ans. Pour la première fois de sa vie, elle sanglotait comme une femme, délicatement, sans bruit ni hoquet.

Henri se pencha pour savourer les larmes qui gouttaient au coin de sa bouche. Ses lèvres trempées avaient un goût de sel.

Cécile regarda curieusement Henri, les paupières gonflées, les joues marbrées de confusion. Brusquement, un étrange désir l’envahit.

Elle rabattit le drap et dévoila qu’elle ne portait rien. Henri n’avait jamais vu de fille en habit d’Eve. Son sang se mit à bouillir dans ses veines. Il demeura figé devant ce fruit à peine mûr qui se proposait à ses caresses.

 

C’était une fillette aux seins naissants, qui savaient copier des airs de grande personne en se tenant la bouche offerte, les paupières mi-closes. Sa peau était si blanche que ses yeux paraissaient encore plus beaux. C’étaient les seules taches de couleur sur ce corps laiteux.

La gamine retrouva sa prestance. Elle s’amusait de l’émoi qu’elle avait engendré chez ce garçon. Doucement, elle posa la main sur son bras, l’attira vers elle et lui souffla :

— Bouge-toi, ne reste pas planté comme une andouille. Approche-toi… je vais te montrer…

 

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