Qui? Quoi?

 

A la base je suis quelconque : blanche, propre, nue.

Plus haute que large, vide de sens, silencieuse, quasiment sans odeur.

Toutefois – je l’ai toujours senti – je peux porter beaucoup.

 

Je suis restée longtemps en communauté sans chercher à en savoir plus, étouffée par la configuration

des lieux exigus, de l’entassement des unités bien ordonnées. Nous étions toutes obéissantes et sans

état d’âme, à peine conscientes qu’il existait un Mouvement, extérieur à nous, indépendant de notre volonté,

dont les vibrations nous parvenaient de loin en loin et déclenchaient certains changements dans nos rangs.

Certaines ainsi furent littéralement retournées, d’autres disparurent sans bruit et sans laisser de traces.

Quelques-unes, violemment tordues, furent arrachées au groupe, puis plus rien. L’obscurité. Le calme.

Petit à petit, pourtant, je me sentais moins stressée. J’aimais la chaleur familiale de notre groupe…

J’avais remarqué qu’une clarté soudaine précédait les changements. Je commençais à cette époque de

remarquer certains « qu’en-dira-t-on » à propos de notre utilité, comme des rumeurs imprécises suggérant

des décisions, légères ou lourdes, des conséquences, des hypothèses, des requêtes, des conclusions…

nombreuses notions auxquelles je m’habituais peu à peu et que je tentais de faire passer à mes compagnes

comme par osmose, et cela me renforçait dans l’impression que la vie me préparait des surprises…

 

Le grand virage s’est produit. C’est étonnant comme on le sent venir tout en ignorant parfaitement la tournure

que prendra sa destinée. C’est à la fois effrayant et tout à fait excitant – on pourrait s’envoler pour un long

voyage ou exploser contre un mur à la vitesse de la lumière –  le mystère est menaçant et savoureux.

Ou bien suis-je optimiste de nature ? J’ai à peine tremblé quand on m’a soulevée. D’autres étaient derrière moi,

c’est vrai, un véritable soutien, mais finalement c’est une par une qu’on nous a convoquées. J’ai compris que

j’étais promue cheffe de file, j’avais une vraie responsabilité, sans moi la troupe ne s’accomplirait pas.

Je passerais la première dans l’énorme machine inconnue, je porterais titres et valeurs, codes et glyphes,

témoignages et évidences, j’accueillerais au seuil de l’autre monde mes compagnes tatouées aussi, et

vraisemblablement nous ne nous quitterions plus.

 

Tout s’est fait très vite, à peine le temps de sécher, de respirer, des mains habiles nous feuilletaient,

des yeux expérimentés nous scrutaient, de nouveaux paysages nous étaient octroyés, colorés, bruyants,

aux parfums d’ encre et de bois, il faisait chaud, étouffant même, puis on nous a couchées et le temps

s’est étiré de nouveau, aucune ne s’en plaignait. Il est bon de faire un bilan régulier, de prendre du recul.

Enfin, deux mains fermes nous ont empoignées, toutes au garde-à-vous, et nous avons entendu, comme

le son d’un clairon dans le silence,  l’énoncé exact de tous les tatouages imprimés sur nos peaux :

« Jugement en condamnation rendu le 1 avril 2001 …. Dossier n° 008/ 17356….. »

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