Tu me demandes la partie de moi que j’aime le plus, sans hésiter je te réponds mon cylindre. Tu sais cette chose ronde et noire sur laquelle tu enroules ton papier, avec sa barre pour vérifier si ta feuille est positionnée correctement, et que tu abaisses pour le coincer.
Pourquoi me demandes-tu. Parce qu’il ferme l’amphithéâtre des lettres qui s’étirent en arc de cercle au bout de leurs tiges métalliques formant comme une frise « de caractères ». Sur lui elles ont frappé tes premières lettres d’apprentissage pour bien positionner les mains, puis les mots, les phrases, les textes, les dictées de tes cours de dactylographie. Ces exercices où tu scrutais le papier, concentré, les yeux grands ouverts en tirant la langue parfois, ou en te mordant la lèvre inférieure. Tu le fais encore lorsque tu changes mon ruban en pestant que tu vas te mettre de l’encre plein les doigts.
Et puis il y a eu les autres écrits, ceux à la frappe hésitante, à celle plus mordante, celle rageuse, celle tremblante. Des milliers, des millions, des milliards de caractères frappés sur ce cylindre qui ont laissé autant de marques invisibles, d’empreintes mêlées, emmêlées, les unes aux autres, les unes avec, et sur les autres. Écheveau inextricable que l’on ne peut démêler, nœud gordien de ta vie.
De ta vie j’en garde le secret dans mon cylindre, Nulle autre que moi n’en connaît la teneur et ne peut en reconstituer la trame. Tes mots se sont gravés au fur et à mesure en fragiles empreintes ou comme frappés au burin. Je sais tout de toi, tes joies, tes peines, tes colères, tes envies, ton numéro de sécurité sociale, de compte en banque. Tout ce que tu as écrit en frappant lettre à lettre sur mon cylindre protégé par le papier je le garde, bien à l’abri.
Si je peux te rendre les mots de ta vie ? Non. Ils sont tous enfouis, enchevêtrés. Moi seule connais le secret qui permet de dérouler le fil d’Ariane de ton existence, enfin des moments que tu as bien voulu me confier.
Quant à tes mots ils se sont envolés, portés par quelques papiers, papier pelure, 60, 80,120 grammes, papier glacé, de couleurs, haut de gamme ou recyclé, enfin tous ceux qui sont passé entre le cylindre et la réglette. Ils se sont égarés, partis rejoindre leurs destinataires, sont enfouis quelque part, je ne sais pas, cela ne me concerne pas.
Je sais, je suis un peu de toi, plus que tu ne le voudrais sans doute. Parfois je me dis que je suis presque une des Moires, la seconde, tu sais Lachésis, celle qui déroule le fil de la vie, mais à l’envers. Le fil de ta vie tu l’as enroulé sur mon cylindre, tout comme elle je ne peux te le rendre. Rassures-toi je suis muette, je ne dirais rien. Après tout, nous sommes entremêlés toi et moi, non entrelettrés !
Ah, les vieilles Remington! Que de souvenirs! Cela fait un moment que le thème de la machine à écrire me titille dans l’AlgoMuse mais je n’ai jamais encore réussi à trouver l’inspiration.
Merci pour votre commentaire. Lancez-vous il y a tant à dire ! et puis la machine vous aidera !!