• 1 an 
  • 8Minutes de lecture env.
  • 231Lectures récentes
10
(1)

Je ne sais pas si j’étais dans un bon jour, en tout cas, je suis rentré à la maison avec deux croissants et une baguette. Les acheter n’avait pas été déplaisant ; au contraire… entre le sourire de la boulangère et les arômes de beurre, je n’avais rien à regretter. C’était plutôt de les ramener qui m’avait semblé bizarre.

J’étais un peu déboussolé. Ce que j’avais vu pendant le trajet du retour m’avait tourneboulé. Je ne voulais pas l’admettre, mais si. J’avais les jambes flageolantes et l’intérieur du corps qui tremblait. Le bout de mes doigts était froid. J’étais stable et instable.

En fait, je me sentais comme un navigateur solitaire pris dans un début de tempête. Fallait-il céder à la panique ou rester calme ? Tout mon corps avait envie de paniquer. Mais mon cerveau refusait, mon mental était d’acier (ah, tout de même, je n’allais pas me laisser impressionner par une pin-up !).

Pour se calmer, mon cerveau avait envie de réfléchir, de turbiner, de créer, et mes doigts voulaient courir sur le clavier de la machine à écrire pour raconter ce qui venait de se passer. Des mots me venaient : « balcon, encorbellement, accident, éternité, femme, objet volant, écrabouillée, tuée, beurk… ».

J’étais entre deux eaux. J’aurais pu me servir un café et manger un croissant, par exemple, pour me rassembler, comme disent les Anglais ; ils put yourselves together, j’ai toujours aimé cette métaphore… Croquer, mâcher, avaler, digérer, pour revenir à la terre. Mais, je ne sais pas, je n’y étais pas. Je n’y arrivais pas. Je pensais à cette blonde écrasée, sanguinolente et définitivement dead, et à cette statue de la sainte Vierge tombée sur elle. What’s the fuck ?

Que faire de ça ? Une jeune blonde en purée sur un balcon et une statue de granit allongée en travers de son corps martyrisé. Solide, la Vierge Marie ! Aucune trace de choc. On dirait moi quand je m’imagine que je suis le plus fort ! (J’ai mes plans ciné persos…)

Bon. J’avais envie de raconter et, en même temps, je ne voulais pas rentrer dans les détails. Je voulais juste écrire mes impressions. Une attirance, une surprise, un vertige. Une étrange indifférence. Même pas de nausées. Étais-je un monstre ? Un type parfaitement impassible devant la mort et, qui plus est, devant la mort d’une belle blonde réduite en bouillie. Choquant ?

Hm, elle semblait être un genre de vampe à la Marshmallow, avec son déshabillé rose pâle. Bof… C’est peut-être pour cela que je n’étais pas ému. Cruel ? Ce n’est pas parce que la demoiselle ne semblait pas forcément intellectuellement très éclairée que l’on ne peut pas être triste de sa mort, ou au moins se sentir concerné. Moi si, je m’en foutais. Je fais le fanfaron, là, mais j’avais quand même l’esprit et le corps fébriles…

Revenons aux croissants. C’est très terrien. Ça rassure. Se nourrir permet parfois de retrouver ses esprits. Croquer, pas croquer ? Ils étaient un peu cabossés (et pour cause, quand la belle s’était faite écrabouillée par la statue, j’avais tout fait tomber au sol, mais leur feuilletage avait toujours l’air bon, comme à la boulangerie. Café, pas café ? Il était tout chaud. C’était tentant…

Tentante aussi, elle l’était, la pin-up, avant d’être aplatie. Ah, le fait d’y revenir me faisait imaginer les croissants dans mon estomac. Pas terrible. Le tout arrosé de café, pas très christique dans l’iconographie… Je tergiversais… Y avait-il à dire sur la messe dominicale ?

Et bim, bam, boum, il arriva à ce qu’il arriva. Comme disent les Américains : See you when I see you. Eh bien, j’ai vu. Toc toc à la porte. C’était Madame le maire. Je la connaissais de vue, mais c’était bien tout. Un peu épaisse, très pimpante et très maquillée, rouge à lèvres rouge vif, des cheveux bruns laqués, un large gilet beige flottant posé sur ses épaules, un sac à main en cuir noir dans la main droite et un téléphone serti de strass dans la main gauche. Elle entra comme un ouragan dans mon appartement.

« Je suis sûre que nous pouvons nous entendre. Vous allez tout me raconter et c’est MOI qui vais leur dire la vérité. C’est excellent pour la publicité de la ville. Excellent. Un peu triste. Mais original. »

Moi, j’étais en mode « poteau dans la tronche ». Je la voyais gigoter, faire des simagrées et essayer de me séduire pour me faire parler. Je voyais ses ongles rouges enfer tournoyer dans les airs. Elle avait besoin d’un allié. Elle avait surtout envie de publicité. C’était l’occaz. Je restais sans voix. Elle en a déduit que j’étais sous le charme.

« Alors, dites-moi. Vous la connaissiez ? Que faisiez-vous devant son balcon ? … Un dimanche matin ? Vraiment ? »

Façon détective, elle s’arrêta net, pointa son index droit dans ma direction, me regarda, éclair dans l’œil gauche (significatif) et hocha la tête d’un air entendu. Ses vêtements fluides supposés cacher ses rondeurs arrivaient encore à tournoyer un peu autour d’elle. Décidément, c’était Hollywood. J’étais censé être impressionné. Je l’étais, par tant de fatuité.

« … et qu’en pensez-vous, si l’interview se passait devant le balcon ? Vous pourriez, JE pourrais être filmée en contre-plongée… » Je l’entendais pépier comme dans un rêve. J’étais l’homme muet, motus et bouche cousue.

Mouvement de caméra, la voilà qui s’agitait encore. Elle circulait dans l’appartement en babillant. Elle regarda la machine à écrire chargée de papier blanc. Se retourna vers moi. Fit trois pas vers la cuisine. Se retourna à nouveau dans un demi-tour voluptueux (enfin, si possible…) et, pathétique, empathique de mes couilles en ski : « Oh, c’est si horrriblee ! » Petit regard intérieur que je n’étais suis pas censé détecter. Elle s’admirait dans son rôle. Elle était parfaite !

Je ne savais plus quoi faire, j’avais envie de la mettre à la porte. Pas envie de voir filer mes couilles sans moi. L’image de la Vierge me revint en tête et une voix douce résonna autour de moi, une phrase inintelligible, mais gentille. J’étais vraiment déboussolé.

« Mon cher, asseyez-vous. Tenez, votre café. Quels beaux croissants ! Vous m’autorisez ? »

La voix douce, des mots si petits, si inaudibles. Un souffle bleu clair, un rayon jaune pâle…

« Délicieux… Et si je vous disais… » Sa voix aigüe qui s’amenuisait, son image qui se floutait. La voix douce, l’autre, qui revenait.

Un son. Puissant. Écrasant, comme le tonnerre sur le pas de ma porte, cela venait de tout envahir. J’ai senti mon corps vibrer du plus profond de lui-même, mes oreilles se boucher et saturer de son. Un poids m’est tombé sur la tête, comme un immense marteau sur ma tête. Mon corps subissait une pression physique tout en restant debout. Vertiges. Déflagrations. Une. Puis deux. Éclair incroyablement blanc dans la nuit subite. J’étais cloué. Impossible de bouger. Foudre violente. Minutes sans souffle. Cloué. Décidément ! Que de choses venant du ciel !

J’ai dû m’asseoir, je pense. J’étais complètement sonné. Abasourdi. Les dieux avaient parlé !?

À moi ?

J’ai fermé les yeux. Ressenti des vertiges et une douleur dans tout le corps. Ouvert les yeux. Plus rien autour de moi. J’étais assis sur l’herbe, de nuit, et je flottais dans le vide. Madame le maire n’y était plus, ma bibliothèque non plus. Inutile de compter sur l’appartement. Plus de pièces, plus de porte, plus d’escalier, mais la sensation de la rue, vide, comme après une explosion atomique. Transparence.

Un souffle avait tout emporté, sauf moi. La voix de Madame le maire raisonnait faiblement au lointain, mêlée à celle de la Vierge. Qui était qui ?

J’étais nu sur ma chaise, au sens propre comme au sens figuré. Vide. Simple humain. Je n’avais qu’une assise à laquelle me raccrocher. J’ai levé les yeux vers les nuages ; indifférents mais conscients de ce qui m’arrivait.

Et encore une fois, si. Vrai. Désolé, c’est pas moi qui décide : quelque chose tomba du ciel. Encore ? Changez de scénario ! Limite pénible, l’histoire. Petit sifflet innocent…

À neuf mètres exactement (chiffre de l’accomplissement), un sachet blanc en papier fin. Je sentais que ça croustillait à l’intérieur. J’ai tenté de l’attraper au vol et, au moment où je l’attrapais, des miettes de croissants tombèrent sur mes pieds. L’image de Madame le maire m’apparut, le rouge à lèvres décoloré et les doigts gras. Elle semblait surprise, comme si la mort l’avait fauchée sans prévenir. Un gong retentit. Un éclair dans la nuit sans étoile. Une fleur de lys orange germa en pleine lumière et poussa à côté de mon pied gauche. ??? 50 cm de hauteur en trois secondes. Si.

Il était 11 heures au soleil, un dimanche matin. La fenêtre de mon appartement était ouverte et les cloches de l’église sonnaient à me casser les oreilles. J’ai rabattu l’oreiller sur ma tête, posé une main sur les douces fesses de mon aimée et me suis rendormi en rêvant de mon nouveau roman : « Elle était là, à se pavaner… »

PS : Merci Philomène !

Moyenne obtenue : 10 / 10. Nombre de votes : 1

Soyez le-la premier-ère à exprimer votre ressenti !

Partager ?

2
0
L'auteur-trice aimerait avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x